Banquier d’affaires : Des citoyens au-dessus de tout soupçon

octobre 3, 2012

Dans le monde de la finance, plusieurs métiers se côtoient sans jamais se rencontrer. Différents, ils n’obtiennent pas non plus la même considération. A salaire souvent comparable pour les meilleurs, en termes d'image, les traders qui jonglent à longueur de journée devant leur écran en pariant sur les soubresauts des marchés financiers, ne sont pas en mesure de soutenir, un seul  instant, la comparaison avec les banquiers d’affaires.
Même s’ils évoluent au sein du même établissement de renom, ces 2 “castes” - la 1ère étant considérée comme inférieure à la seconde - ne se fréquentent guère. Cela leur est déjà interdit par la compliance qui érige une ’’muraille de Chine’’ entre les activités de conseil et de marché. Cette céleste métaphore fait référence aux locaux distincts où les cartes d’accès des uns sont persona non grata chez les autres. Mais également à l’interdiction formelle d’échanger entre eux des informations sur les clients de la banque.
Dans le passé, ceux qui se sont risqués à ce “jeux interdit” et se sont fait prendre, ont brûlé leur carrière sur le ’’bûcher des vanités’’. La chute de l'un d'eux, Ivan Boesky, a été portée à l'écran par Oliver Stone dans Wall Street (1987) avec Michael Douglas dans le rôle de Gordon Gekko.
Malheureusement, l’histoire a, trop souvent, tendance à se répéter.
Prompts à dépenser leurs bonus dans des voitures de sport, à décorer leur appartement façon garçonnière, sortir dans les clubs à la mode et à s’habiller fashion, ces derniers ont souvent adopté un style de vie trépidant en ligne avec la frénésie des marchés financiers qu’ils côtoient au quotidien. Un rythme qui pousse, parfois, certains à franchir la ligne blanche en usant d’expédients.
Ces pratiques n’ont pas leur place chez les habitués des salons cossus des banques d’affaires où se jouent parfois de véritables tragédies dans une ambiance toujours feutrée. Confrontés à des enjeux stratégiques où le sort des entreprises dépend souvent de la qualité de leurs conseils, les banquiers M&A sont, eux aussi, exposés au stress. A l’instar d’un joueur de poker entraîné à maîtriser ses émotions, ils savent le plus souvent gérer les tensions et tentent d’afficher, en toute circonstance, un calme olympien.
Cela n’est pas toujours facile et parfois les masques tombent en présence d'interférences politiques comme ce fût le cas, en 2004, lors de l’OPA de Sanofi-Synthélabo sur Aventis. Plus récemment, le rapprochement entre GDF-Suez et International Power ne s'est pas fait sans quelques étincelles qui ont bien failli faire exploser le deal.
A l’opposé, le comportement du trader est plus proche de celui d’un utilisateur compulsif de jeux vidéo. Et pourtant, le M&A s’apparente aussi à un jeu de guerre. En présence d’une offre hostile, on se trouve en pleine “blitzkrieg” avec l’élaboration de stratégies de défense pour tenter de déjouer les plans de l’adversaire.
Dans cet univers où certaines opérations d’envergure sont tout aussi spectaculaires que Stars War, à l’image des prise de contrôle de Möet Henessy par Bernard Arnault, d’Elf par Total, de Paribas par BNP voire de GVT par Vivendi, ces banquiers tiennent le rôle de chevalier Jedi même s’il arrive parfois à certains - les moins scrupuleux - de basculer dans le côté obscur de la force.
Mais avant de rejoindre l’élite de la finance et devenir l’un de ces hommes d’influence - intimes des capitaines d’industrie - et d'appartenir à ce club très fermé où la discrétion est de règle, il faut passer par différentes étapes.
Et pour débuter, autant disposer d’un solide bagage, être issue d’une bonne famille où être le “fils de” car cette profession laisse peu de place aux autodidactes d’origine modeste qui plus est, issus de l'immigration. Ainsi une banque, dont l’influence longtemps étouffante n’est plus ce qu’elle était, a toujours mis un point d’honneur à accueillir dans ses murs des fils d’anciens clients, de 1er ministres (français ou monégasque) et de hauts fonctionnaires du Trésor.
Issu de cette banque, un ancien patron du CAC 40 aux célèbres initiales, J2M, a perpétué cette tradition en accueillant dans sa boutique le fils d'un ministre de l'intérieur. Quant au petit-fils d'un des ex-associés gérants les plus influents de cet établissement, il couvre pour le compte d'une banque américaine, avec un luxe de discrétion, un secteur où règne l'un des clients de son grand-père. Une banque où Ophélie Winter a découvert l'autre définition de la fusion auprès d'un ex-vice president M&A passé par Morgan Stanley devenu très proche du Qatar.
Pour les autres, les études secondaires dans les établissements comme Franklin, Henri IV, Saint-Louis, Pasteur, Janson de Sailly suivies par l’une des 3 écoles de commerce parisiennes constituent un bon départ pour ceux qui souhaitent faire leur 1ères armes comme simple analyste en M&A. Un emploi auquel on accède après avoir effectué plusieurs stages dans cette practice après une série d'entretiens parfois kafkaiens menés par des analystes à la mémoire courte. Une formation type MBA dans l’une des universités américaines Ivy League (Harvard, Princeton, Yale, Cornell, Colombia) ou de niveau identique (Wharton, Stanford) n’est plus aussi recherchée qu’auparavant, sauf peut-être pour ceux qui veulent intégrer une banque d’affaires américaine. Et encore !
Mais comme dans toute règle, il y a des exceptions. Ainsi l’un des associés gérant de Rothschild & Cie transfuge de Lazard n’a que pour seul diplôme celui de l’Ecole des Cadres. Mais pour ce financier, l'un des plus mondains de la profession, ce détail est aussi lourd à porter que la croix pour le Christ. En revanche, cela ne dérange pas cet ex-CEO d'une banque anglaise diplômé de l'EBS, marié à la responsable du family office d'un dirigeant breton.
Autre parcours insolite, celui d’un managing director d’une banque d’affaire américaine. Ce passionné de football est passé par l’école de formation de l’AS Saint Etienne avant de changer d’orientation professionnelle pour finir en M&A. Ce métier attire aussi d’anciens hauts fonctionnaires souvent passés par la Direction du Trésor - où l’on croise beaucoup de polytechniciens et d’énarques - mais aussi d’anciens présidents de banques dont certains cumulent les deux prestigieuses écoles (dans chaque promotion de l'X, 2 places ouvrent les portes de l'ENA). Après un temps, dans l'administration, ils “pantouflent”.
Ce fût le cas de Daniel Bouton rembarré par un secrétaire général de l'Elysée pour sa suffisance et son indécence. Après sa disgrâce, l'ex-CEO de SG a trouvé, un temps, refuge chez Rothschild & Cie où il était employé en catimini. Il a suivi les pas de son illustre prédécesseur, Jacques Mayoux qui bien avant lui, avait initié le mouvement en rejoignant Goldman Sachs mais lui sans être accompagné de casseroles. Avant qu’il ne prenne une retraite bien méritée, à son apogée, certains comparait son pouvoir à celui de Yoda, le grand maître Jedi.
Cet univers très masculin laisse peu de place aux femmes qui en général ne font pas de vieux os. Il faut dire que rien ne leurs est épargné comme récupérer en portefeuille un opérateur télécom dont la femme du président fût une intime de son patron. Au demeurant cette mission impossible n’a pas freiné l’ascension de cette banquière réputée pour son professionnalisme et sa discrétion. Pas besoin d’être banquière d’affaires pour avoir de l’influence sur les patrons du CAC 40.
Cette femme de conviction - un temps marquée par le signe du rat - le prouve tous les jours avec son agence de communication composée de collaboratrices au pédigree évocateur. On y rencontre la fille d’un ancien associé gérant de Lazard, une nièce d’un ancien Président de la République, une descendante d’une grande maison de parfum. A l’instar de ses clients, cette agence a rencontré des conflits d’intérêts. Et non des moindres, puisqu’à l’occasion de la prise de contrôle de Gucci, elle a été placée face à un choix cornélien. En effet, 2 de ses clients, et non des moindres, se disputaient la cible. En privilégiant le plus ancien au détriment du plus puissant, elle a assumé son choix avec un courage et une exemplarité qui, dans le monde de la finance, est une qualité rare. Ce dossier - l’un des plus disputés de la Place financière de Paris - donna lieu à une bataille homérique. Au point que certains intervenants ont cru, à tort ou à raison, être au centre d’un roman d’espionnage !
Dans ce métier, soigner son image passe aussi par des symboles qui ne sont pas exempts de paradoxes. Ainsi chez Rothschild & Cie, la banque compte plusieurs descendants de Maréchaux d’Empire dans ses rangs, même si durant le 1er Empire, l’établissement aux 5 flèches s’était rangé aux côtés de la Perfide Albion. En tout cas, dans cette maison comme il était d'usage dans la ’’Grande Armée’’, l’avancement se fait au mérite.
Arriver en retard à un dîner familial fait partie du quotidien des banquiers d'affaires. Parfois il s'agit de raisons extra-professionnelles. Il n'est pas rare que les invités du plus gaulois d'entre-eux attendent qu'il finisse de regarder un match de foot dans son salon. Signe que la passion a toujours raison.
A l'instar des joueurs de foot, il arrive à certains associés de tomber en disgrâce par manque de résultats. Dans les banques américaines, il suffit parfois d’un écart de comportement pour interrompre prématurément une carrière prometteuse.
La Russie est une destination où il faut savoir garder la tête froide et éviter de  se prendre pour Tintin au pays des soviets. Si le gendre idéal d’un dirigeant d’un des fleurons du CAC 40 impliqué sur un important dossier de restructuration a, comme à son habitude, fait preuve d’une exemplarité professionnelle à toute épreuve, d’autres n’ont pas été exempt de tout reproche. Rapatrié ou plutôt exfiltré, un banquier prié de changer de vie,  a dû rejoindre son pays d’origine pour de nouvelles aventures.
Comme leurs homologues français, les banques d’affaires américaines accueillent aussi des fils de bonne famille. On y côtoie le fils d’un ambassadeur de France en poste dans les plus grandes capitales, celui d’une ancienne figure du capitalisme français dont la marionnette est passée un temps aux guignols de l’info mais aussi le frère d’un patron du CAC 40 qui vient de faire l’objet d’un article au titre évocateur ’’Henri l'électricien et René le financier Proglio & Proglio : petites affaires en famille’’ dont il se serait bien passé.
A sa lecture, l’un de ses prédécesseurs remercié depuis, s’en est délecté. Ce dernier s’était montré très irrité de ne pas pouvoir déjeuner à la table de Michael Bloomberg lors de la conférence annuelle d’Europlace à New York. Ce genre d’incident n’est pas un cas isolé. Au musée de la chasse et de la nature, les invités du dîner de closing d’un LBO mené par KKR se rappellent comment ce banquier, dont les relations avec son frère, n’ont rien à envier à celles des frères Saadé, fit des pieds et des mains pour se rapprocher de la table d’Henry Kravis.
Ces comportements surprenants de banquiers pourtant triés sur le volet rappellent que “l’habit ne fait pas le moine”. Il arrive parfois que la notion de l’honneur leurs échappe. A leur décharge, il parait difficile de leurs reprocher, la plupart s'étant dérobée à leurs obligations militaires (à l’exception notable des X mais peu font du M&A) en se tournant vers le VSNE. En revanche, il faut reconnaître que la discrétion dont ils font preuve sur les mandats qui leurs sont confiés, n’a d’égal que celui de la “grande muette”.
Les anecdotes ne manquent pas sur ces armateurs d'art aux goûts éclectiques que l'on croise aussi bien au vernissage de la Biennale des Antiquaires qu'à celui de la FIAC.
Comme cette passion coupable pour les ouvrages érotiques illustrés entretenue par un célèbre banquier d’affaires. Mais quoi de plus naturel pour ce grand collectionneur dont le nom figure parmi les donateurs de plusieurs grands musées nationaux. Aussi amateur de Havane, il assista avec beaucoup d’amusement à “la bataille de chiffonniers” à laquelle se sont livrés plusieurs associés gérant de sa maison pour faire main basse sur l’impressionnante cave à cigares après l’entrée en vigueur de l’interdiction de fumer dans les lieux publics.
Certains se prennent encore pour de véritables James Bond comme ce passionné de voile et de bolide que l'on a pu apercevoir dans une tenue décontractée à l'église Saint Sulpice, lors des obsèques de Jean-François Prat qu'il avait failli précéder quelques mois plus tôt en chutant de son scooter.
Cela explique peut être ce dress code inapproprié pour les circonstances. Une broutille comparée à celui revêtu pour son dernier sacrement par cet ex-banquier d'affaires exilé à Genève qu'il avait croisé à ses débuts chez Lazard. Simple coïncidence,1 an plus tôt, son épouse convoitait chez Artcurial l’affiche de ’’You only live twice’’ avec 007 entouré de gheisas avant de se raviser sur les conseils de son voisin, un collectionneur averti.
Enfin, rappelons cette remise de décoration - l'ordre du mérite - où l’assemblée assista, dépitée, en particulier les familles des 2 récipiendaires, au discours de Charles de Croisset. Emporté par son élan, le CEO d'HSBC France ne put s'empêcher de faire du mauvais esprit, le pire sans s'en rendre compte. Rompant l'omerta, la vidéo de cette cérémonie gâchée est disponible sur You Tube.