Tout n’est pas rose au Peninsula

décembre 16, 2015

Le diable est dans les détails et c'est à se demander si 16 mois après l'inauguration du Peninsula, celui dont Gérard Philippe a si bien tenu le rôle dans sa beauté, ne prend pas un malin plaisir à continuer à roder dans les 30.000 m2 de l'ex-centre de conférences internationales ?
Après un investissement conséquent (770 M€), le résultat est au rendez-vous. Déduction faite des 440 M€ versés à France Domaine, les 330 M€ de travaux et aménagements sont bien visibles du sous-sol (Spa & Fitness) à la Terrasse en passant par les chambres à la domotique très avancée, les salles de conférences et les restaurants (Le Lobby, Lili et l'Oiseau Blanc). Cela en jette sans être ostentatoire. Détenu minoritairement (5,3%) par Qatar Holding, Vinci a réalisé un bien meilleur travail qu'au Plaza où il a entaché sa réputation.
Le dernier né des établissements du groupe Hong Kong and Shanghai Hotels (HKSH) fondé en 1880 à l'embouchure du Yangzi Jiang par la famille Kadoorie (toujours à sa tête) venue d'Iran est de loin le plus imposant et majestueux palace de la Capitale. HKSH possède 20% de l'Opco aux côtés de Qatari Diar (80%) unique propriétaire de la Propco.
Après une nécessaire période d'adaptation pour les équipes de l'hôtel, certains habitués connus pour leur degré d'exigence surtout auprès des transfuges venus du Plaza, peuvent se demander si la loi des séries est une fatalité à l'angle de l'avenue Kléber et de celle des Portugais.
Prenant le contre pied de Sartre et de sa célèbre réplique il ne faut pas désespérer Billancourt, d'autres conscients que Rome ne s'est pas faite en un jour, préfèrent prendre leur mal en patience et contribuer, comme ils le peuvent, à améliorer l'art de vivre à la française. Mais ce coaching de tous les instants tend à devenir fastidieux pour les plus assidus des lieux.
Cela commence tôt le matin dés le breakfast au Lobby avec un jus de citron au goût dénaturé mais tout s'explique en apprenant que l'agrume a été pressé 1 heure avant ! Idem pour les kouglofs (mieux réussis que ceux du Plaza sans parler de ceux du Meurice) qui ce jour là étaient bien secs puisque la cuisine avait oublié de les imbiber de sirop. Dommage comme on peut aussi regretter la suppression de cette généreuse brioche conviviale au goût si agréable et le remplacement des délicieuses pana cotta (fruit de la passion, fruits rouges et nature) par des yaourts Bordier que le Plaza a (heureusement) fini par adopter à la place des Yoplait silhouette, une erreur de casting dans le breakfast américain. Introduites cet été, les confitures de Christophe Michalak ne devraient pas passer l'hiver. Une décision accueillie avec soulagement par plusieurs habitués. En particulier ceux qui ont dû subir celles d'Hédiard longtemps imposées par Alain Ducasse, proche de l'ex-propriétaire (Michel Pastor). Sans parler du thé (une véritable infamie) de ce piètre traiteur qui a eu le sort qu'il méritait.
En revanche, il n'y a rien à redire sur le jus d'orange (certainement le meilleur de Paris) du Peninsula et ses jus détox surtout quand ils sont servis, l'été, en terrasse. Idem pour les œufs Bénédicte du breakfast américain (50 €). Mais à la différence des autres palaces, les boissons sont facturées à l'unité. Ainsi si vous reprenez un café ou un thé, il vous sera compté en plus surtout si Charlène Bourc est de service ce jour là. Pour les invités des salons, chasse gardée des banquets, les boissons sont à volonté mais qu'ils ne se réjouissent pas trop vite, ils doivent se contenter d'un breakfast low cost et d'un service plus spartiate. En général peu habitués à ce genre d'endroit, ils ne s'aperçoivent pas de la différence.
Dernier soucis et non des moindres, celui du café depuis l’installation (récente) de la nouvelle machine qui moud directement les grains, il vous laisse un désagréable goût d'amertume que seul est capable de détecter le palais fin d'un amateur de grands crûs d'Ethiopie et du Costa Rica. La Bauhinia au Shangri La rencontre depuis longtemps le même problème mais tarde à changer sa machine au coût élevé (15.000 €). Dans ce registre comme celui du service et des viennoiseries, le Plaza est (largement) au-dessus du lot.
Heureusement, ce genre de contrariétés n'affecte pas les buveurs de thé, qui plus est, des adeptes de la Maison des trois thés - la référence se situant aux antipodes de Mariage Frères - qui affectionnent le Shang Palace et sa délicate et incomparable cuisine cantonaise dont raffole Jiang Qiong Er, la fondatrice de Shang Xia. Son alter ego au Peninsula, Lili tente de faire bonne figure. Sans une fausse note inexcusable à ce niveau, il aurait pu y arriver.
Dans un cadre différent et beaucoup plus éclairé avec un décor (réussi) inspiré de l'opéra chinois, les convives, confortablement installés, sont bien disposés à découvrir la carte. En accompagnement d'excellentes ravioli (2) de crabe de Shanghai en bouillon (14 €), d'un canard laqué façon pékinoise (128 € pour 2 personnes) servi en 2 services avec un riz Yangzhou (14 €), les 2 convives ont opté pour un thé vert Long Jing (18 €) servi à profusion. Avant de finir sur une délicieuse note sucrée : une crème de mangue, pomelo et perles de sagou (14€).
Moins cher, le canard laqué de Lili est bon (sans plus) mais s'inscrit tout de même en retrait de celui du Shang Palace* (160 € pour 2 personnes) où l'on ne risque pas de vous servir les condiments de ce plat délicat directement sortis de la chambre froide. Résultat le choc thermique vient immanquablement gâter le goût de la peau croustillante de la volaille placée dans la crêpe.
Partant d'un bon sentiment, l'explication fournie est d'une simplicité déconcertante à vous en faire tomber les baguettes avec les bras. Ainsi chez Lili, les légumes sont hachés fins à l'avance et conservés au frais pour ne pas faire attendre les convives !
Confronté à cet agaçant bis repetita, on peut toujours tenter d'échapper à ce pénible Wu Jian Dao (無間道), l'indicible malédiction chinoise, en montant à l'Oiseau Blanc, une valeur sûre où l'on jouit d'une vue imprenable sur Paris et bien plus quand on a la chance d'y venir dîner le 14 juillet (300 € le menu) et profiter comme nul part ailleurs du feu d'artifice. Une expérience unique que l'on peut revivre pour le réveillon du nouvel an (500 € le menu).