Quand le X milite pour la parité

décembre 2, 2012

’’La pornographie, c'est l'érotisme des autres’’, confiait celui qui dirigeait en son temps la collection ’’Les Maîtres de l'amour’’. Mais à l’évidence n’est pas Guillaume Apollinaire qui veut !
Aussi dans le milieu de la finance, rares sont celles qui ont lu ’’Fifty shades of grey’’ que les américaines se sont arrachées y compris à Wall Street.
En France, celles qui ont cédé à la tentation, à l’image de l’épouse d’un manager d’une société passée par plusieurs LBO, ont trouvé ce roman pour le moins consternant, du même niveau que ’’Cher Maitre ! 8 ans de viol conjugal’’ relatant la vie privée d’un avocat d’affaires formé chez Gide.
Le passage relatant un acte contre nature dans une cave sentant l'odeur de moisi, a depuis fait le tour des law firm de la Place grâce au bouche à oreille savamment distillé par les collaboratrices, les chargées de communication et les assistantes; le seul public à avoir accordé de l’intérêt à ce sordide règlement de comptes.
Aussi, le lancement du nouveau site internet, Dorcelle.com, devrait contenter certaines d’entre elles.
Pour accompagner cette initiative, le spécialiste du ’’porno chic’’, a diligenté une enquête auprès de l’IFOP d’où il ressort que 8 femmes sur 10 ont déjà vu un film X, la moitié consomme du X toute seule et près de 20% en consomme régulièrement.
Parmi les ‘’invités de marque‘’ de la conférence de presse organisée pour présenter l'étude et le site, figurait Katsuni, la seule actrice X française dont la notoriété dépasse les frontières de l’Hexagone.
Dure à la tâche comme elle le prouve dans ses films (400 tournés en 13 ans de carrière), celle qui a intégré Sciences-Pô Grenoble à 18 ans est également dotée d’une bonne dose de dérision. Jeune retraitée de l'industrie du X, elle le prouve dans la série de pub qu’elle vient de réaliser pour un site de livraison de plats à domicile.
D’autres actrices moins reconnues ont également tenté de prendre du recul avec le métier en tournant dans des films d’auteur, d’action ou de comédie. Faisant mentir certains professionnels du cinéma qui considèrent avec condescendance que les actrices du hard sont hasardeuses. ’’Mais que dire alors des top models qui se sont essayées au 7ème art ? Toutes n’ont pas eu la carrière de Monica Belluci’’, rappelle ce critique de cinéma qui du temps où il était étudiant en droit, côtoyait Tabatha Cash à la faculté d’Assas.
De fait, il n’est pas besoin de sortir de Polytechnique pour faire du X mais rien n'interdit à ceux qui ont fréquenté les bancs de cette prestigieuse école de s'y intéresser.
Ainsi, Henri de Maublanc de la promotion X72, celle qui accueillit pour la 1ère fois 7 jeunes filles dont Anne Chopinet sortie major et Dominique Sénéquier, fut l'un des artisans du minitel rose avant de créer Aquarelle.com, un site de vente de fleurs en ligne.
Venant d’horizons différents, Yasmine, l’une des ex-Dorcel girls a tenu le second rôle dans ’’Un homme perdu’’ de Danielle Arbid, film d'auteur présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2007.
L’année suivante, elle jouait dans un autre registre, dirigée par Olivier Marchal dans ’’MR-73’’. Depuis sa disparition des écrans y compris ceux du radar, l'ancienne égérie de Marc Dorcel a accordé un interview aux Inrocks qui n'incite guère à rejoindre l'univers du X.
En termes de reconversion celle qui fait référence dans le milieu n’est pas une ex-de cette écurie. Placée à la tête d’une maison de lingerie coquine et flirtant parfois avec le top 50, Clara Morgane aurait pu le devenir.
A l’époque, Marc Dorcel n’était pas convaincu de son potentiel dans le X.  Son exigence de ne tourner qu’avec son petit ami (de l‘époque), était incompatible avec les ’’pratiques de Place’’ de ce métier.
Ce fût l’une des rares occasions manquées de cette PME de 46 salariés, discrètement installée dans un ancien garage parisien (ne pas y voir un clin d’œil à une expression vulgaire désignant une fille facile) non loin de Balard et depuis peu, également, dans un élégant hôtel particulier de la plaine Monceau, qui règne en maître sur le marché du X en France.
Sa production s’exporte dans plus de 60 pays à travers le monde. Cette petite entreprise ne connaît pas la crise si l’on en juge pas ses derniers résultats : 2 M€ de bénéfice pour un CA (25 M€), avec une progression de 120% sur les 5 dernières années.
Accompagnée d'une hausse de 30% de la masse salariale, cette forte croissance s'explique par la diversification des activités (boutiques, chaine TV, magazines, sextoys) tirée par la VOD triple play, forte génératrice de cash flow.
Sur ce créneau, le groupe détient une part de marché de 75%, en France. De quoi faire saliver plus d’un fonds d’investissement à la recherche de ’’pépite’’, évoluant dans un métier de niche non cyclique, protégée par une forte barrière à l’entrée, soutenue par un marché affichant une croissance régulière.
Des critères que remplie l’industrie du X, du moins quand elle est entre les mains de professionnels.
Pour faire du X, mieux vaut avoir les reins solides. Au plein sens du terme car l’aspect financier est loin d’être négligeable. C’est le cas en France, plus qu’ailleurs, depuis la ’’loi X’’ introduite par le décret du 30 octobre 1975 et reprise par la Loi de finances pour 1976.
Cette loi scélérate pour certains, toujours en vigueur, taxe plus lourdement ces films que les autres, en les soumettant à une imposition forfaitaire de 33,33% non déductible. En outre, ces films ainsi que les salles spécialisées qui les diffusent, sont exclus des subventions publiques et du large dispositif d’aide accordé au cinéma français (avances sur recettes, garantie IFCIC, préfinancement des diffusions TV par Coficiné et Cofiloisir, éligibilité aux Sofica  etc..).
Cette “inquisition” fut déclenchée par une jeune hollandaise de 22 ans, Sylvia Kristel. Entouré d’un parfum de scandale à sa sortie en 1974 - après 1 an d’interdiction -, dans la foulée du ’’Dernier tango à Paris’’, ’’Emmanuelle’’ provoqua un vaste débat en France sur la censure des œuvres érotiques.
Mais la mort de Georges Pompidou changea la donne. Suivant la promesse du candidat VGE d'abolir la censure, une fois, devenu Président de la République, son ministre de la culture, Michel Guy, freina les ardeurs (sans h) du CNC.
Ce new deal permit la sortie en salles de films, pour le moins osés, au prix de sérieuses coupes. Heureusement moins radicales que celles opérées par le curé du village dans Cinéma Paradiso.
Certains réalisateurs ont réussi à passer entre les mailles du filet, coupant la pellicule pour la remettre ensuite, transformant le montage en casse-tête chinois. La commission de censure recevait une version très soft comparée à celle destinée à l’exploitation. Profitant d'un certain laxisme, le cinéma érotique et pornographique a connu son “âge d'or”.
Des films comme “Prenez la queue comme tout le monde” et “Bananes mécaniques” de Jean-François Davy ont chacun atteint 1 million d’entrées, en 1975.
Cette année-là, plus de la moitié des films à l’affiche sur les Champs Elysées étaient des films roses. Mais en adoptant la ’’loi X’’, le gouvernement de Jacques Chirac, fidèle à son mentor, mettait fin à cette “chienlit” l'année où ’’l'Empire des sens’’ était présenté au festival de Cannes à la Quinzaine des réalisateurs.
Produit par Anatole Dauman, le chef d'oeuvre de Nagisa Oshima ne manqua pas de faire scandale à sa sortie. Mais face à l'unanimité des critiques et son triomphe sur La Croisette, Jacques Chirac fit une exception. Au final, le film ne fût interdit qu'aux mineurs.
Depuis cette loi, recevoir la classification X délivrée par la commission de censure du CNC, revient à être frappé d’infamie. Sur le plan financier, cela correspond à tuer le film dans l’œuf puisqu’aucun espoir de bénéfice n’est envisageable.
Parfois le visa d’exploitation semble avoir été délivré sous l’emprise de la fatigue par des esprits au jugement obscurci. Alors qu’il est généralement reproché aux réalisateurs de films X de bâcler le scénario pour peu qu’il y en ait un, de ne pas travailler la mise en scène, d’être trop éloignés d’une sexualité réaliste, de dégrader la femme,’’Histoires de sexe(s)’’ sorti en 2009, se distingue.
De fait, il comporte un nombre restreint de passages explicites de sexe non simulé - sans gros plan -, avec 95% de dialogues, pour 5% de sexe, et non l’inverse.
Un standard bien éloigné des codes de la pornographie classique. Mais cela n'a pas suffit pour obtenir un visa d’exploitation interdit aux moins de 18 ans. Une catégorie spécialement sortie des oubliettes pour ’’Baise-moi’’ (2000), un film comportant des scènes de viol collectif. Mais comme il s’agissait de sexe sous contrainte - assimilable pour certains à une œuvre de l’esprit -, la commission de censure du CNC s’est montrée clémente. Il serait intéressant de savoir si les ’’chiennes de garde’’ partagent cette tolérance pour la moins douteuse.
Tombé dans la clandestinité, le film X est devenu un produit banalisé, réalisé à la va vite avec peu de moyens.
Déplorant cette situation, Marc Dorcel qui adolescent, rêvait d’entrer à l’Ecole des Beaux Arts, a décidé de nager à contre courant en misant sur le porno chic. Un pari gagnant qui lui vaut le respect de la profession notamment aux Etats-Unis où sont produits 98% des 10.000 films X tournés chaque année.
Jusqu’en 1995, l'activité de la marque au Toucan - désormais remplacé par un sceau que ne renieraient pas les étudiants de Massy Palaiseau -, a été florissante. Elle l’est toujours mais un peu moins.
A l'époque, la vente d’une cassette VHS pour l'équivalent de 75 € permettait d'amortir un film de 60.000 € en moins de 3 mois. Un TRI à faire pâlir un fonds de private equity. Ce métier où il n'est pas rare de trouver sur les bureaux, un calendrier Marc Dorcel. ’’Un moyen de lier l’utile à l’agréable’’ réplique ce managing director d'un fonds qui rappelle une anecdote quand il travaillait à la City. Un jour en feuilletant un tabloid, il avait reconnu, en tenue légère, l’une de ses assistantes racontant avec détails son aventure avec un joueur de football de Premier league. Dans la banque, personne  ne s’était permis de faire la moindre allusion.
La proximité avec le monde du ballon rond, peut parfois réserver de bonne surprises. C'est le conte de fée que vie l'ex-call girl Zahia depuis qu'elle est devenue la protégée de Karl Lagerfeld.
Avec ce statut enviable, elle a réussi sa reconversion en insufflant un nouveau style - sans parvenir à égaler celui d'Hitomi Tanaka - dans les collections de lingerie fine.
A la différence de la cover girl japonaise, les nombreuses propositions de tournage qu'elle a reçues, sont restées lettre morte.
Avec l’arrivée des bouquets satellites et leurs besoins de contenus, le modèle économique a changé. Du jour au lendemain, les diffuseurs ont tiré vers le bas le prix du passage TV qui divisait par 2, s'élève à 33.000 € chez Canal +.
Autre problème, celui de l'effet de ciseaux lié au bond technologique. En amont  l’arrivée de la caméra DV ne nécessitant plus une équipe de professionnels pour tourner un film; a permis l’essor du X amateur. En aval, la démocratisation d’internet a contribué à l’explosion du piratage qui représente 90% de l'offre X.
Noyés dans une offre pléthore à dominante ’’gonzo’’ - le budget standard d’un film X en France est de 3500 € contre un budget moyen de 80.000 € chez Marc Dorcel -, plus d'un amateur de ce 7ème art a perdu ses repères voire même son latin face à cette déferlante.
La résurrection est venue de là où l’on ne l’attendait pas, du coté de l’avenue Montaigne et du Faubourg Saint Honoré.
La guerre fratricide menée entre Bernard Arnault et François Pinault pour le contrôle de Gucci, a conduit les créatifs des marques de luxe à se lancer dans des campagnes de pub de plus en plus osées et suggestives. Il s’en est suivi une surenchère des autres maisons qui a fini par conjuguer esthétisme et érotisme.
A partir de l’an 2000, Marc Dorcel a amplifié la dose d’esthétisme dans les films pour maintenir - en dépit de l’absence de concurrence en France - son leadership et rivaliser avec des labels américains comme Wicked Pictures, Digital Playground, Vivid.
En 2009, le “Pape du X”, il est d'origine polonaise comme Jean-Paul II cela tombe bien, a marqué les esprits en sortant ’’Casino no limit’’, un film X de 2h30 au budget de 250.000 €, le plus important tourné, à ce jour, en France.
Doté d'un budget équivalent, il récidivait, 2 ans plus tard, avec ’’Inglorious Bitches’’. Reste à savoir si la nouvelle offre destinée aux femmes sous le label Dorcelle.com va réussir à les séduire?
En tout cas, les invités de Linklaters, sponsor parmi d'autres de l’exposition Helmut Newton qui s’est tenue au début de l’année au Grand Palais, ne se sont pas trop attardés sur les nus, de peur de s’attirer les foudres de leurs compagnes dont l'humeur de certaines n'avait rien à envier à celle de Jean-Marie Le Pen photographié entre 2 doberman.
A l'opposé, cet avocat d'affaires de l'avenue Victor Hugo que l'on ne présente plus, contemple à longueur de journée (sans la moindre gêne), un nu pris par son artiste de femme, Bettina Rheims. Mais tout le monde sait depuis ’’la Traversée de Paris’’qu'il y a dans chaque français un cochon qui sommeille !