On a beau avoir la main verte, se fournir chez Joël Thiebault, apprécier la cassolette de légumes de Franck Cerruti et celle à l'étouffée de Christophe Saintagne (2 Chefs ***), dans la flore, Alain Passard fait comme Usain Bolt, il laisse tout le monde (loin) derrière !
Le virage pris, en 2001, celui de mettre les légumes sur un piedestal, en a surpris plus d'un et pas seulement dans le club très fermé des *** qu'il a rejoint en 1996, 10 ans après l'ouverture de L'Arpège, l'ex-Archestrate repris à Alain Senderens parti chez Lucas Carton.
Auparavant, Alain Passard a débuté, en 1970, à l'Hôtellerie du Lion d'or à Liffré comme apprenti de Michel Kéréver puis de Gérard Boyer à La Chaumière à Reims avant de rejoindre Alain Senderens à L'Archestrate.
A 26 ans, au Duc d'Enghien où la troupe du Collaro Show aimait à se retrouver, il reçoit sa seconde* avant de s'expatrier à Bruxelles au Carlton où le guide rouge le gratifie à nouveau de**.
Décidé à produire (sans l'ombre du moindre pesticide) ses propres légumes en respectant (scrupuleusement) le rythme des saisons, ce natif de La Guerche-de-Bretagne, en Ille et Vilaine, formé dès 14 ans à la pâtisserie avant de se tourner vers la rôtisserie, a relevé le défi avec le succès que l'on connait.
Situés dans la Sarthe et dans l'Eure, ses 3 potagers où le désherbage se fait à la main, sont labourés à l’aide de chevaux de trait pour préserver une terre meuble et riche. Devenus, en seulement l'espace d'une décennie, ce qui se fait de mieux, ses légumes semblent tout droit sortis du jardin d'Eden.
La cueillette éphémère composée de tomates cerises récoltée le matin même, vous y fait immédiatement penser. Pour arriver à ce niveau d'excellence, pas moins de 15 jardiniers assurent l'approvisionnement du restaurant dont les chutes leurs servent d'engrais.
Cet équilibre naturel, on le trouve également dans les recettes de saison servies à L'Arpège, composées de produits méticuleusement préparés en cuisine.
”Laisser le temps au temps” ce que Jean-Louis Dumas qui avait installé un verger sur la terrasse de son bureau du 24 faubourg, aimait à répéter, cette année, en raison de la pluviosité, les habitués du 84 rue de Varenne ont dû prendre leur mal en patience.
Les tomates ont eu 6 semaines de retard mais une fois arrivées, elles ont tenu leur rang. Et ce, même si le Chef parti pour Madras porter haut les couleurs de la gastronomie française, n'était pas derrière les fourneaux.
Il faut dire qu'Alain Passard a toujours su bien s'entourer, plusieurs de ses anciens disciples comme Pascal Barbot *** et dans une moindre mesure David Toutain et Jacques Decoret (* chacun), ont connu la consécration. Ses plats aussi d'une certaine manière puisque certains font partie des plus copiés !
Bien avant lui, Giuseppe Arcimboldo avait, à travers ses toiles, créé un monde où le légume régnait en maître absolu.
Moins radical, Alain Passard laisse une place (de choix) dans sa carte aux écailles, aux plumes et au pelage. On ne présente plus ses fines ravioles potagères consommé végétal (67 €), simply the best comme se présentait du temps de sa splendeur ce big five disparu.
Quel bonheur de découvrir cette robe des champs arlequin merguez légumière, courgette, fenouil (85€) et que dire des saveurs de cette aiguillettes de homard au Savagnin corne de gatte fumée (175€) où toute la pureté du crustacé pêché aux îles de Chausey, ressort. A la différence de Darco Adamovic plus habitué aux sardines en boite, Driss Bererhi peut en témoigner.
Au dessert, les tomates confites aux douze saveurs thym, romarin (49€) vous transportent littéralement, un peu comme Hubert Bonisseur de la Bath assis sur sa chaise et discutant sur la plage dans OSS 117 Rio ne répond plus.
Enfin pour prolonger cette harmonie végétale, une infusion s'impose. Elle remplacera (très) avantageusement le ”petit noir” surtout auprès des amateurs de grands crûs de café.
Pour donner un aperçu, au plus grand nombre, de sa magie, Alain Passard peut se transformer en traiteur au lieu de sortir un lapin d'un chapeau. Lors du lancement de la BMW i3, le Chef n'avait pas hésité à déménager son potager sur le toit du Palais de Tokyo pour l'occasion.