En cuisine plus qu'ailleurs il est mal venu de mélanger les torchons et les serviettes. Aussi invité sur BFM TV (au final pour faire tapisserie), Franck Xu, chef * du Shang Palace est resté impassible (là où d'autres chefs se seraient étranglés) en écoutant le présentateur nonchalant de ”Goûts de luxe” vanter les ”Pâtes vivantes” (une cantine plus prisée par les bobo que par les étudiants chinois), reprenant in extenso l'article du Figaroscope censé répertorier, à l'occasion de l'année du cheval, les meilleurs restaurants chinois de Paris. En jargon, cela s'appelle se faire chroniquer !
Héritier d'une lignée (3ème génération) de cuisiniers cantonais originaire de Shenzhen, Franck Xu, étoilé en 2012, a repris le flambeau du regretté Fung Ching Chen, 1er chef chinois à recevoir un macaron (1998-2007) en France dont Joël Robuchon appréciait beaucoup les plats à forte connotation eurasienne.
Chargé en 2011 d'être l'ambassadeur dans la Capitale de la tradition culinaire de Canton souvent considérée comme la plus délicate des 8 grandes cuisines régionales de Chine, Franck Xu est plus enclin à respecter à la lettre ces recettes - en intégrant quelques mets prisés à Pékin et au Huaiyang - qu'à faire preuve d'une créativité irraisonnée. Une ligne de conduite que certains critiques plus ou moins avisés, ont parfois du mal ”à avaler”.
Bénéficiant de la confiance et des moyens mis à sa disposition par un groupe hôtelier de prestige, il a apporté dans ses bagages 4 chefs de partie respectivement affectés à la découpe (du grand art à ce niveau), au wok (le 3ème bras du chef), à la rôtisserie (l'étape cruciale du canard laqué) et aux dim sum/desserts (ces ravioles de pâte de riz vapeurs servies à l'heure du thé à Hong Kong et seulement le midi au Shang Palace). Son isolement en sous-sol permet de mieux apprécier l'ambiance subtile et raffinée de ce lieux unique à Paris directement accessible par l'ascenseur du lobby du Shangri La.
Pensé sans fausse note, ce restaurant aux colonnes incrustées de jade, orné de paravents en acajou et d'imposants lustres en cristal, parsemé de grandes tables espacées les unes des autres, parvient dés l'accueil à recréer une ambiance de détente apaisante qui vous accompagne tout au long du repas rythmé au son d'un Guzheng.
Capable tant en chinois (mandarin et cantonais) qu'en anglais et en français de vous conseiller dans vos choix, voir même d'expliquer avec aisance aussi bien à un sinophile averti qu'à une descendante de généraux du Kuomintang toute la symbolique des plats en particulier pendant la ”fête du Printemps” (春节), le service efficace et attentionné est (en tout point) irréprochable. Avec une telle prévenance, le choc culturel appréhendé par ceux dont la connaissance de la Chine se limite à Tintin et le lotus bleu (malgré sa pertinence historique reconnue), s'estompe.
Dans le registre art de la table, sans atteindre la perfection des pièces de Shang Xia, la vaisselle et les couverts du Shang Palace, de grande facture, en imposent.
Pour s'attirer la bonne fortune tout au long de l'année à venir, impossible de faire l'impasse sur ”Bouddha qui saute par-dessus le mur” (55€) . Composé des meilleurs mets - capables de faire succomber Boudha à la tentation - aux bienfaits reconnus sur la santé, ce bouillon de volaille, porc, fruits de mer aux herbes chinoises, baies de Goji, vin de riz de Hua Diao, ormeau, Saint-Jacques séchées et champignon noir, est servi dans la logique du service chinois en 2ème plat. En effet, il s'intercale - le temps de préparer un silver hill venu d'Ecosse ou d'Irlande - entre le 1er (rôtisserie) et le 2ème service (wok) du canard laqué pékinois (160 € et 90 € en demi). A ne pas confondre avec son cousin cantonais (29 €) cuisiné et présenté autrement avec un canard à la peau plus grasse.
Classique incontournable constituant le point d'orgue du repas, sa peau laquée et craquante (à souhait) est servie accompagnée de crêpes chaude à la farine de riz, concombre, cébette émincée et d'une sauce aigre douce. Émincée et sautée au wok, sa chair se déguste avec de jeunes pousses de laitue plongée dans l'eau glacée provoquant selon Philippe Labbé, chef ** à l'Abeille, ”un choc thermique en bouche”.
Le Cabillaud braisé (à point) en cocotte, cébette, ail et gingembre (58€) n'est pas en reste. Ce plat savoureux et parfumé que la finesse de l’ail préserve, apporte une note agréable au repas que l'on peut prolonger avec le fameux riz sauté du Chef (25€). Ce riz sauté à l’oeuf, crevettes, poulet, porc laqué au miel, pousses de bambou, champignons, petits pois, jambon est unique en son genre. Pour finir sur une touche sucrée et exotique la délicate crème de mangue glacée avec pomelo et perle de sagou (14 €) est recommandée. De caractère plus affirmé, le lait entier infusé au gingembre (10€) apporte une note de fraîcheur plus tonique. Elle peut être atténuée par l'assiette de fruits exotiques (19 €) composée de mangue, papaye, carambole, fruit de la passion, mangoustan, longane et ananas.
Avec un soin particulier, le sommelier, Maxime Verdier, propose une agréable et inattendue sélection de 5 verres (hormis pour la soupe servie très chaude). Son penchant prononcé pour le Tokaj en particulier les fameux aszús s'estompe avec la chair du canard laqué (Saint-Julien Croix de Beaucaillou 2006) et le dessert (Saké Dassai indice 23). Sans surprise, la carte des thés où figure en bonne place le Long Jin, compte pas moins de 12 crus rares dont un Pu Er de 20 ans d’âge et un Oolong Dung Ti. De quoi ravir les connaisseurs les plus difficiles.
Idéal pour un déjeuner ou un dîner d'affaires franco-chinois surtout au moment où les 2 pays pays célèbrent le 50 ème anniversaire de leur amitié, s'assurer de ne pas réserver au dernier moment, relève de la sagesse élémentaire. Quant à la discrétion, il est possible de la préserver en réservant le salon particulier Tang, du nom d'une des dynasties impériales !