Les mémoires de Ben Benanke, au titre (un brin vaniteux) ”The courage to act”, sortent en même temps que celles tout aussi passionnantes mais beaucoup plus low profile de Dominique Nouvellet.
Leur publication coïncide avec l'exposition sur Martin Scorsese, l'un des moments culturels forts de l'année.
A y regarder de plus près, on découvre plusieurs point communs entre le ”maître cinéphile” et le ”précurseur du private equity” en France, énarque atypique qui snoba l'Inspection des Finances imité plus tard par François Hollande qui laissa sa place à J.P Jouyet dont le classement ne lui permettait pas d'y briguer.
Alors que l'un recevait la Palme d'or à Cannes pour ”Taxi Driver” (1976), l'autre peaufinait l'écriture de la saga Siparex dans un petit bureau de la chambre de commerce de Lyon mis à sa disposition où un siècle auparavant naquit (feu) le Crédit Lyonnais.
Pour éviter les critiques sur le caractère narcissique de sa démarche comme, 30 ans plus tôt, le piège tendu par Bernard Tapie à l'usine d'Annemasse de Terraillon, le fondateur de Siparex a pris soin de retenir comme modèle Jean de Verrazane.
Ce navigateur lyonnais d'origine florentine qui découvrit New York, en 1524, laissant son nom au pont reliant Staten Island à Brooklyn (bien connu des vétérans du marathon de NY), a financé ses expéditions à la manière d'un entrepreneur de start up en se tournant vers l'ancêtre du private equity.
L'un des thèmes forts chez Scorsese, cinéaste new-yorkais, profondément new-yorkais, l'alliance entre des personnages toujours minée par la trahison, le parjure, venant altérer, trahir la promesse initiale, se retrouve aussi dans l'ouvrage ”Siparex : Pionnier du capital investissement français”.
Comme dans The Last Temptation of Christ (1988), Goodfellas (1990) et Casino (1995), cet acteur du capdev n'a pas, non plus, été épargné tout au long de ses 38 ans aux manettes de ce sponsor par ces aléas inhérents à la nature humaine.
Au fil des pages et dans l'ultime chapitre de ce livre consacré à l'avenir du private equity, le lecteur découvre l'analyse sans complaisance de l'auteur sur les divers aspects de ce métier devenu vital pour notre économie sans en occulter certaines dérives méticuleusement disséquées. L'exception française prenant ici les traits du capitalisme familial sclérosé et du rôle tentaculaire de Bpifrance.
Siparex c'est l'histoire (à rebonds) d'une start up créée avec 3 MF, la veille de Noël 1977, grâce à une volonté de fer, soutenue par une solidarité lyonnaise, sans faille, disposant de relais à Paris qui boucla son augmentation de capital (55 MF), la veille des législatives de 1978 où ”le programme commun” était donné (à tort) gagnant.
Animée de valeurs communes : courage, probité, respect des autres, chères au capitaine de Boëldieu dans La grande illusion (1937) mais aussi du sens des réalités, ”de la matière avec qui on ne triche pas sinon la réaction est immédiate à la différence de la finance” selon l'expression de François Michelin, cette ”belle équipe” n'a eu de cesse d'honorer la confiance de ses actionnaires.
Malgré des débuts difficiles : envoi de dossiers de canards boiteux par la Direction du Trésor sous la pression des élus, 2 premiers investissements soldés par le dépôt de bilan des cibles (SAT et Terraillon), les succès sont vite arrivés (Cap Gemini, Salomon, Norbert Dentressangle, Sommer Allibert, Cisco etc..).
D'autres ont suivis suscitant les convoitises lors du raid boursier mené par Guy Wyser-Pratte et son ex-associé François Gonthier désormais en guerre ouverte et inquiété par l'AMF. Puis au moment de la délicate négociation de la succession où le lecteur initié reconnaîtra René Maury et Pierre Rispoli.
Tout comme celui, plus loin, du céleste Mingpo Cai semblant tout droit sorti d'un roman de Lucien Bodard. Au fil des pages, on croise aussi Louis Thannberger, le père d'Oussama Ben Laden, Dominique Oger, DSK, Maurice Tchénio et bien d'autres personnalités pas seulement de cet acabit.
Aujourd'hui, entre de bonnes mains, celles du gendre de cet officier légendaire qui ”rien de rien, ne regretta rien”, Siparex c'est 1050 entreprises financées, 320 en portefeuille, 1,5 Md€ d'actifs gérés, 7 bureaux en France, 3 implantations en Europe (Madrid, Milan, Münich) et 3 partenariats au Maghreb.
A la différence de Jean de Verrazane qui eut tort de succomber trop longtemps à l'appel du grand large et mourut (1528) aux Antilles dévoré par des cannibales, Dominique Nouvelet a ”raccroché les gants” pour goûter à une vie plus adoptée à son âge, au milieu des siens.
Tous dans le private equity n'ont pas eu cette sagesse au risque de mener le combat de trop et finir comme ”Raging Bull” (1980).