On peut rêver mieux comme fin de soirée que quitter l'Opéra Bastille après avoir assisté au naufrage scénique d'un des plus beaux ouvrages du répertoire. Avec son plateau de rêve, ”La Damnation de Faust” était le spectacle le plus attendu de la saison.
Le trio de chanteurs a été à la hauteur. Avec une Sophie Koch superbe, en pleine maturité vocale et tellement touchante en Marguerite. Si la star du moment, Jonas Kaufmann, manquait un peu de projection, quel style dans le phrasé et quelle intelligence du texte.
Bryn Terfel, toujours impeccable dans les rôles de bad guy, irradiait de sa présence une salle aux à priori très positifs. Même les seconds rôles étaient bons, et le chœur, élément clé dans la musique de Berlioz, était en place.
Avec ce trio magnifique au service d'une musique française tout en finesse et en nuances dans le contrepoint, pourquoi donc avoir à subir une mise en scène du letton Alvin Hermanis, juxtaposant, sans lien réel, Mars One (l'expérience grandeur nature préfigurant l'envoi d'hommes sur Mars) et le pauvre Stephen Hawking cloué dans son fauteuil roulant, qu'a-t-il fait pour mériter tout cela, en particulier l'ignoble supplice du gyroscope ?
Quel rapport avec l’œuvre de Goethe? Quel contresens pour qui connaît la vie de Stephen Hawking (que l'on a pu voir au cinéma récemment dans l'excellent film de James Marsch, qui a valu l'Oscar du meilleur acteur à Eddie Redmayne)... Que vient faire le robot Curiosity dans l'action? Pourquoi ces danseuses, tantôt en sous-vêtements, tantôt en Willis façon Giselle (sans les pointes) représentant péniblement des cobayes humains ou essayant d'entraîner le pauvre Faust vers le désir charnel?
On touche le degré zéro de la mise en scène, à coup de projections type ”National Geographic” (souris, baleines, méduses, escargots, spermatozoïdes...) et de chœur (pourtant très bon) s'avançant en tas et en ligne sur la scène.
Même Jonas Kaufmann semble atterré par la mise en scène (copieusement sifflée), au point de finir dans le fauteuil du Dr Hawking. Quant à la magnifique rédemption de Marguerite intervenant à la fin, son effet est complètement manqué. Comment un directeur d'opéra peut-il se fourvoyer ainsi en programmant (avec de l'argent public), une telle ineptie, plaquée sur une musique splendide de Berlioz, plutôt bien servie par l'orchestre de l'opéra (qui manque toutefois d'un peu de précision dans les attaques), avec un Philippe Jordan toujours inspiré...
Quitte à pousser la métaphore martienne jusqu'au bout, les choristes n'auraient-ils pu venir chanter le final déguisés en martiens, façon ”Lustucru” (sans Germaine) ou ”Mars Attacks”, plutôt qu'en astronautes tout de bleu vêtus tels des schtroumpfs... A voir ce qu'est devenu l'Opéra de Paris (passons sous silences les lacunes de Stéphane Lissner sur l'opéra italien après tout de même 10 ans à la Scala de Milan sans oublier la scandaleuse affaire des cloisons de Garnier), force est de constater que l'art lyrique est (hélas) tombé bien bas et qu'il faudrait penser à envoyer sur Mars quelques conseillers artistiques au goût plus que douteux...