Devenu critique de cinéma pour Marianne, Grégoire Chertok ne pouvait décemment pas être présent à l'ACF le soir de la rétrospective d'Ettore Scola et rater ”Affreux sales et méchants”.
En découvrant le verdict du jury de l'ARE, l'équipe de Doux a eu la désagréable impression d'être considérée comme une bande de parias au même titre que les acteurs du film campant un ramassis de repris de justice ou en devenir.
En primant l'outsider Jardiland plutôt que Doux, les 9 membres du jury sont, à leur manière, ”passés du coq à l'âne”, au point de donner de l'avoine à Thierry Sonalier qui n'en demandait pas tant.
Mais pouvait-il en être autrement puisque le volailler avait déjà reçu le prix des lecteurs de Challenge?
Après cette soirée organisée, Arnaud Marion,”levé au chant du coq”, se trouvait à Rennes, le lendemain, pour intervenir à une conférence à la chambre régionale d'agriculture de Bretagne où contrairement à l'Automobile Club de France, le port de la cravate n'est pas de rigueur.
Avec de bons états de service, ce fils de Gal ** de Gendarmerie devenu breton d'adoption en passant 3,5 ans de sa vie à Châteaulin (à raison de 5 jours par semaine) et plus de 500 heures à négocier avec le comité central d'entreprise de Doux, n'a eu aucun mal à capter l'attention de son auditoire.
N'en déplaisent à certains prompts à relever l'impact positif de la parité €/$ (0,01 € de variation équivaut à 2,5 M€ de CA) sur le redressement de Doux, les faits parlent d'eux-même.
En juin 2012, au moment du dépôt de bilan (le plus gros intervenu en France), Doux accusait 1 Md€ d'endettement (550 M€ au Brésil, 450 M€ en France), un Ebitda (-40 M€ hors subventions) et des fonds propres (-320 M€) négatifs.
En mars 2015, 1 mois après le rappel à Dieu du fondateur Charles Doux (67 ans), le groupe éponyme affichait 30 M€ d'Ebitda, un levier de dette ramené à 2,66 et 42 M€ de fonds propres. Dans la tourmente, Doux a tout de même perdu des plumes. Son CA a été ramené d'1,4 Md€ (2011) à 530 M€ (2015), ses effectifs de 4000 à 3000 salariés et ses sites de production de 18 à 9.
Après avoir mené à bien (sans la moindre aide publique), le plus important plan de continuation jamais conduit en France, le volailler obtenait un prêt de croissance (5 M€) de Bpifrance pour l'aider à financer ses capex. D'une durée de 7 ans, ce prêt (amortissable sur 5 ans après une franchise de 2 ans) est à Euribor + 700 pb.
A peine 20 mois après sa sortie du redressement judiciaire, Terrena (CA 4,6 Md€) valorisait Doux à 200 M€. En reprenant, en mai 2015, la participation de D&P (52,5%) - à hauteur de 80% (20% pour Sofiproteol) -, le groupe coopératif renforce la position de n° 2 français (derrière LDC au CA de 3 Md€), de Gastronome (CA 900 M€), sa filiale avicole.
Et dire qu'Arnaud Montebourg, à l'époque ministre du redressement productif, souhaitait livrer Doux pieds et poings liés à Sofial, filiale de Sofiproteol, quand il avait la tête sous l'eau.
Plus tard à peine sauvé de la noyade, Stéphane Le Foll va tenter de lui faire racheter Tilly Sabco. Ironie du sort, le groupe dirigé par Daniel Sauvaget (le meneur des ”bonnets rouges”) devait absorber Doux dans le mécano industriel imaginé par le compagnon d'Aurélie Filippetti.
En dépit des aides (4 M€) versées par le fonds ARI, la région et la CCI de Morlaix, entre les élections municipales et européennes, Tilly Sabco a été liquidé en septembre 2014. Sans Maurice Lantourne préférant se fondre dans la foule des invités de l'ARE, Doux aurait certainement connu le même sort funeste.
Alors qu'Arnaud Marion, entouré de Didier et Martin Calmels, lui rendait un hommage appuyé à l'estrade, ce dernier dont la tenue vestimentaire n'a souvent rien à envier à celle de Jean-Louis Borloo (aussi présent), s'était mis en tête (en poussant un peu loin le bouchon) de défendre la dignité d'une veuve éplorée (pas celle de Charles Doux).
Dans ce dossier où plusieurs convocations intempestives ne l'ont pas empêcher de défendre au mieux les intérêts de son client, un groupe familial sous-capitalisé rattrapé par une croissance reposant sur l'endettement et doté d'un management dépassé par les événements à la botte d'un patriarche vieillissant, son rôle a été déterminant.
C'est au Brésil où Doux, implanté en 1998, a servi de modèle aux 2 poids lourds du secteur (Brazil Food et JBS) que les ennuis ont commencé. Incapable de porter secours à sa filiale Frangosul (CA 600 M€) dotée d'un BFR démesuré et malmenée par la volatilité du réal, Doux se résignait, en septembre 2011, à confier sa location gérance (pour un loyer dérisoire) à JBS (géant brésilien des protéines animales devenu son concurrent).
A charge pour le locataire-gérant de traiter au mieux le passif bancaire, social et fiscal (revendiqué) pesant sur la filiale du bailleur. En réduisant la surface du gage de Barclays sur un crédit de 141 M€, cette solution (bancale) faisait apparaître au grand jour les difficultés connues mais trop longtemps occultées.
Ainsi, à la perte (20 M€) du pôle frais (CA 300 M€) structurellement déficitaire, s'ajoutait un endettement (1 Md€) face à 100 M€ de fonds propres et pour finir la fin annoncée du système d'aide à l'export ”les restitutions”, privant progressivement Doux de 80 M€/an de subventions.
Sans oublier, l'impact du crédit fournisseur (150 M€ au passif) concernant 800 éleveurs de poussins et 1000 transporteurs et fournisseurs, tous impayés. Acteur phare de la filière Halal vers l'étranger (31% de part de marché en Arabie Saoudite), Doux (3ème exportateur mondial et 1er en Europe) représente 50% du volume de fret du port de Brest.
Rattrapé par des années de navigation à vue, le groupe (CA 1,4 Md€) décidait, en janvier 2012, de se placer en mandat ad hoc. En mai 2012, Guy Odri le manager chargé de la destinée du volailler depuis 2003 était remercié juste avant le dépôt de bilan et remplacé par Arnaud Marion appelé à la rescousse par Maurice Lantourne. L'arrivée de ce manager, spécialiste de la gestion de crise et des restructurations, va changer la donne. Réunis, les 40 cadres clés sont amenés à identifier 70 points pour relancer le groupe.
En faisant preuve d'audace tout en bénéficiant du soutien d'Al Munajem, le groupe alimentaire saoudien principal et fidèle client du volailler depuis 40 ans, il va réussir à retourner la situation désespérée (600.000 € en caisse avec une échéance bancaire de 20 M€ au 1er juin) pour faire face à des besoins quotidiens de 4 M€ (dont 1,5 M€ pour alimenter les poulets).
Espéré par Bercy, le debt equity swap de Barclays tombe à l'eau. Dans l'impossibilité de céder le pôle frais, la banque comprend qu'il n'est pas dans son intérêt d'agir ainsi pour éviter de tout perdre en cas de liquidation judiciaire. Elle préfère s'éclipser et laisser le champ libre aux offres de reprise.
Uniquement intéressé par Père Dodu (100 M€ de CA, n° 1 en France avec 40% de part de marché du pané frais, le n° 2 détient 20% ) repris en 1991 au groupe Guyomarch, William Saurin propose (royalement) 25 M€ pour la marque et une usine.
Beaucoup plus étendue celle de Sofiprotéol (le conglomérat financier et industriel de la filière oléagineuse et protéagineuse au 7,3 Md€ de CA) consiste à rapprocher le ”canard boiteux” avec sa sous-filiale Glon Sanders (filiale de Sofial), céder une partie de la filiale frais à Duc et LDC, l'export à Tilly Sabco, reprendre les stocks à 30% de leur valeur et le capital d'Agropar (80% famille Doux, 20% BNP Paribas via Codexi) holding du groupe opérationnel pour 1€ symbolique.
Ce mécano industriel soutenu par le MRP, le CIRI, le préfet du Finistère, les syndicats agricoles (FNSEA, CNJA etc..) ainsi qu'une partie du personnel est assorti d'une offre de 40 M€ avec à la clé 2000 licenciements. De son côté, Arnaud Marion a compris que sa planche de salut réside dans la relance du groupe et sa profonde réorganisation en passant par une (sérieuse) cure d'amaigrissement.
La cession de Stanvel (sous-produits destinés au pet food) rapporte 19 M€ et remet à flot la société qui dans la foulée obtient 10 M€ de new money auprès de Barclays. S'ensuit alors des négociations avec Natixis Factor qui accepte de libérer 5 des 10 M€ de créances clients bloqués en surdimensionnement.
Enfin, Al Munajem accepte d'avancer 10 M€ pour ne pas perdre sa part de marché au Moyen-Orient. Accueilli, sous une pluie d’œufs et de quolibets, au tribunal de commerce de Quimper, Charles Doux en ressort, fin juillet, avec une prolongation de la période d'observation de 6 mois renouvelable grâce à l'appui du Parquet. Quelques mois plus tard, il sera victime d'une attaque cérébrale, la veille d'une nouvelle audience.
Après la liquidation, durant l'été, du pôle frais (300 M€ de CA et 1000 salariés) que l'absence de confusion de patrimoine aux autres activités de Doux (pas moins de 26 procédures nécessaires lors du dépôt de bilan) a rendu possible sans ”gangrener” les autres branches, la reprise du prix à la tonne passé de 1700 à 2400 $ entre mars et novembre 2012 était mise à profit pour augmenter le volume de production entraînant une hausse de 30% à l'export.
En amont, les fournisseurs finissent (difficilement) par accepter cette stratégie ambitieuse qui s'est finalement révélée payante. Fin octobre 2012, la trésorerie se redresse et permet de rembourser les 10 M€ de new money de Barclays. Cette embellie permet aussi de verser des avances aux éleveurs et d'amortir la baisse d'un 1/3 des restitutions dont l'arrêt attendu fin 2014 prendra effet au 1er juillet 2013. La fermeture de sites permet de saturer les autres et ainsi d'augmenter la rentabilité tout en réalisant 20 M€ d'économies en incluant la réduction des frais administratifs. Autre mesure d'appoint, la meilleure valorisation des abats rapporte 1 M€.
En janvier 2013, lors de la 2ème baisse d'un 1/3 des restitutions (20 M€ de manque à gagner), Doux s'en sort beaucoup mieux que son concurrent à l'export, Tilly Sabco dont le CA tombe de 130 à 100 M€ sous l'effet conjugué de la baisse des restitutions mal anticipé et d'un modèle économique non intégré.
Leader des ”bonnets rouges”, son dirigeant a tenté de faire diversion en se jetant à corps perdu dans la bataille de l'Ecotaxe. Son mouvement en est sorti vainqueur laissant à l'Etat une ardoise de 980 M€, sans compter le manque à gagner lié au prélèvement de cette taxe pour les finances publiques.
Au 30 septembre 2013, Doux ne pèse plus que 520 M€ de CA dont 2/3 à l'export mais dégage 19,5 M€ d'Ebitda et dispose de 25 M€ de trésorerie. Entre temps, en avril 2013, Didier Calmels, président de D&P se rapproche de Barclays pour racheter sa créance (141, 5 M€ de principal + 8 M€ d'intérêts) 21 M€ sans clause de retour à meilleure fortune. Le paiement cash de 15% des créances contre abandon du solde est assorti d'un étalement du passif dur 10 ans dont 65% payable les 3 dernières années.
En même temps, JBS rachète Frangosul pour 1 real en échange de l'extinction de son passif (80 M€). En mettant la main sur la créance détenue par la banque, D&P récupère du même coup l'ensemble des sûretés, des titres des filiales dont Frangosur et les marques y compris Père Dodu.
A l'issue d'un ”coup d'accordéon” (réduction suivi d'une augmentation de capital), le passif de Doux passe d'1 Md€ à 80 M€. Ramené de 80 à 22,5%, la participation de la famille Doux se retrouve au même niveau que celle d'Al Munajem tandis que D&P prend le contrôle du volailler avec 52,5% du capital.
Redevenu profitable, Doux sort victorieusement, fin septembre 2013, du redressement judiciaire. Après un 1er semestre 2014 difficile, l'équilibre était atteint au 3ème trimestre et le suivant était bénéficiaire.
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, le retrait de Tilly Sabco lui a permis d'augmenter sa part de marché à l'export, hissée de 70 à 96% (18.000 T/mois) au détriment de son infortuné concurrent passée de 10 à 4% (760 T/mois).