Le French Cancan intègre le carnet de bal de l’ISDA

juillet 9, 2018

En apprenant la nouvelle à la Bastide du Pin, Pierre Gissinger qui n'avait pas imaginé connaître cela de son vivant, en est tombé de son hamac. Avant de se muer en aubergiste, il y a 10 ans déjà, le “Yoda des produits dérivés” avait déjà constaté lors de l'adoption du global netting en droit français que l'élève avait dépassé le maître.
Si à l'époque, cette mesure, introduite par Alban Caillemer du Ferrage, avait été saluée comme une avancée majeure, elle représente peu de chose comparée à la pierre (plus proche du Menhir que du pavé) que ce dernier vient d'apporter à l'édifice de l'attractivité de la Place de Paris (chère à Europlace qui fête ses 25 ans) dans ce domaine reconnu pour son degré de complexité.
En dépit d'une forte barrière à l'entrée difficile à franchir, certains n'hésitent pas à “faire du développement” tout azimut au risque d'en faire trop au mépris de la discrétion et de l'efficacité. Dans ce registre, Kramer Levin devrait peut être songer à mettre la pédale douce pour éviter de commettre des impairs. Cela ne déplairait certainement pas à Hervé Ekué, récemment élu managing partner d'Allen & Overy.
Ce spécialiste reconnu des produits dérivés et de l'Afrique est “devenu tout blanc” en apprenant (avec stupeur) qu'un associé de cette law firm estimait que le master agreement de l'ISDA pouvait faire obstacle à l'OHADA !
De loin, le plus important au monde, ce marché affiche un notionnel tous risques confondus (change, taux, actions, crédits, matières 1ères, énergie, climat etc...) supérieur à 500 Trilliards Md$.
Pris de court par l'adoption, le 28 juin dernier, par l'ISDA (International Swaps and Derivatives Association) d'un master agreement (contrat cadre) en droit français, l'association animée (depuis l'origine) par Arnaud de Bresson, une longévité qui force le respect, et désormais présidée par Augustin de Romanet (de Beaune) n'a pas pu intégrer cette actualité.
Présentée par certains comme une “révolution copernicienne”, elle ne figure pas au programme de sa conférence annuelle au titre évocateur : Europe in a disruptive world.
En tout cas, les conseillers techniques de Bruno Le Maire seraient bien inspirés d'ajouter quelques lignes sur ce sujet dans le discours de leur ministre, invité à animer le déjeuner du 11 juillet.
A moins que Gilles Kolifrath, intarissable et incontournable sur le sujet si l'on en juge par son assiduité aux conférences, sa visibilité dans les médias et les réseaux sociaux, décide de s'en charger.
Créé, en 1987, à l'initiative de l'ISDA désormais fort de 900 membres, le master agreement dont la contribution apportée aux produits dérivés en termes de sécurité juridique est proche de celle attribuée aux incoterms en matière de transport de marchandises, a été amendé en 1992 puis en 2002.
Utilisé par 90% des acteurs économiques, ce contrat cadre existe en 2 versions, l'une régie par le droit de l'Etat de NY et l'autre par le droit anglais.
La 1ère est cependant réservée à l'usage du marché domestique américain tandis que l'autre s’est imposée comme un standard universel adopté pour toutes les opérations cross border aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe, en Asie ou en Afrique anglophone.
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, le Brexit est arrivé comme un chien dans un jeu de quilles. Non seulement plusieurs banques ont déserté la City au profit de Paris ou Francfort mais pour être applicable dans un autre Etat-membre de l'Union Européenne que le Royaume-Uni est appelé à quitter tôt ou tard, les décisions de ses juridictions vont tomber sous le coup d'une procédure d'exeqatur.
La démission du ministre du Brexit (David Davis) suivie par celle de celui du foreign office (Boris Johnson) du gouvernement de Theresa May, en dit long sur le degré de préparation de la sortie (soft ou hard) de la perfide Albion de l'Union Européenne censée prendre effet dans 9 mois.
La prolongation et l'incertitude du résultat afférent à cette situation, sans parler des surcoûts, ont amené l'ISDA à chercher des solutions de rechange.
Après s'être fourvoyé en se tournant d'abord vers l'Allemagne, son board a vite changé son fusil d'épaule en découvrant l'omnipotence du droit de la consommation outre Rhin.
D'application automatique en cas d'asymétrie d'information entre 2 parties, il s'avère, en outre, incompatible avec les techniques modernes de gestion de la documentation contractuelle du type protocoles ISDA.
Épaulé par son associée, Hu Qian, tout aussi indispensable qu'Emma Peel à John Steed, le global co-head banking & finance de Jones Day n'a pas manqué de saisir l'occasion, sachant qu'elle n'allait pas se reproduire de si tôt.
Après s'être rapproché, fin 2017, du board de l'ISDA et obtenu dans la foulée, l'aval de la DG Trésor et du Haut Comité de la Place pour créer un groupe de travail et procéder aux modifications législatives nécessaires à la délivrance d'une legal opinion clean (sans réserve) sur la compatibilité du nouvel 2002 ISDA Master Agreement (french law) avec l’ensemble du droit français, Alban Caillemer du Ferrage s'attelait à la tâche tout en limitant (au maximun) les modifications à apporter à la version anglaise.
Sur les 5 principales, le changement de la clause de droit applicable et celle d’élection de compétence du Tribunal de commerce et de la Cour d’appel de Paris, ne pouvaient être évitées.
Par ordre d'importance, les 3 autres modifications portaient d'abord sur le flawed asset. A l'occasion d'un swap de taux entre Metavante et Lehman Brothers, ce concept a opposé les tribunaux anglais à ceux de l’Etat de NY après la chute de la banque américaine.
N’ayant aucun équivalent en droit français (même la nouvelle exception d’inexécution anticipée introduite dans le Code civil par la réforme du droit des obligations, en est très éloignée), la clause a du être modifiée en conséquence. Si son fondement juridique est distinct, son fonctionnement demeure (en pratique) inchangé, évitant aux adeptes de la convention anglaise d'être perturbés.
Ensuite, le contrat prévoit une exécution de bonne foi de leurs obligations par les parties. S’il n’est pas interdit en droit anglais, ce standard, obligatoire en droit français puisqu'il est d'ordre public, ne l'est pas dans cette juridiction.
Enfin, à la différence du droit anglais, la compensation en droit français ne se fait pas par novation, mais simplement par extinction des dettes réciproque à hauteur de la plus faible d’entre elles. Le contrat anglais a été simplifié en ce sens. Là encore, cette modification (de fondement juridique) est sans conséquence pratique sur le fonctionnement quotidien des opérations.
Par ailleurs, aucune des dispositions qui sont au cœur du contrat ISDA et organisent la résiliation des opérations (close-out) et le calcul du solde de résiliation (netting) n’ont été modifiées. De même, l’ensemble de l’architecture contractuelle ISDA a été préservée.
Idem pour tous les autres documents publiés par cette association (définitions, confirmations, protocoles), lesquels peuvent être intégrés dans le nouveau contrat, et ce quelle que soit leur langue de rédaction.
Aussi pour ne pas laisser retomber le soufflé et lever au plus vite les derniers obstacles bloquant la rédaction d'une version française, l'imposant groupe de travail du Haut Comité de Place a mis les bouchées doubles.
Exposé une 1ère fois par son instigateur aux membres de l’ISDA à Londres, en février dernier, le projet finalisé leurs a été présenté, en avril dernier, lors d'un congrès à Miami où cette initiative a été bien accueillie.
Quelques dispositions ont tout de même été glissées dans le projet de Loi Pacte présenté, le 18 juin, en Conseil des ministres avant d'être examinées par le législateur à la prochaine rentrée parlementaire.
Parmi celles-ci, la plus emblématique porte sur l'anatocisme. Il est prévu que ce principe protecteur du débiteur ne soit plus applicable aux produits dérivés pour préserver la pratique de marché de capitalisation des intérêts (compounding of interest).
Finalement, l'adoption du nouveau contrat cadre est intervenu, le 28 juin dernier à l'Hôtel de Talleyrand, à l'issue d'une réunion du board de l'ISDA composé de 25 membres dont 4 français.
De son côté, l’ISDA s’organise pour que les opinions netting (obligations légales imposées à toutes les entités régulées) des 80 pays dans lesquelles elle les collecte, visent (au plus vite), cet accord historique officiellement publié en 3 versions (française, anglaise et bilingue).
Encore utilisée à l'instar d'Air Liquide par plusieurs entreprises du CAC 40 et également dans les pays d'Afrique francophone, la convention cadre FBF 2013 va cohabiter avec ce nouveau standard avant l'apparition d'un effet de vases communicants. A charge pour la FBF de mettre à jour les opinions netting et de procéder à leur collecte dans son “pré carré” et tous les autres pays concernés.
Quant au master agreement ISDA en droit irlandais, aux airs de “Madison celte”, appelée à succéder à la version anglaise coulée par le Brexit, elle a été publiée dans le sillage de son homologue français. Au risque pour les contre-parties, adeptes de la common law, de ne pas savoir sur quel pied danser.