M'enfin ! Même si la rédaction de L'Agefi n'est pas celle de Spirou, Nicolas Beytout, aussi âgé que Gaston Lagaffe, pourrait le laisser échapper en se rendant dans les locaux du titre que l'Opinion vient de racheter à Artémis. Situés tout près de la gare de Clichy-Levallois, ils ne sont pas très accessibles.
En pensant à l'infortuné Mr de Mesmaeker, jamais à l'abri d'une mauvaise surprise de dernière minute, les acteurs de ce dossier ont pris toutes les précautions qui s'imposaient pour mener à bien les négociations qui ont débouché sur une signature en plein Shabbat juste avant Le jour du Seigneur.
Seul en lice après qu'Infopro, Axel Springer et Valeurs Actuelles aient regardé le dossier sans remettre d'offre, le quotidien lancé, en mai 2013, par Nicolas Beytout a finalement racheté L'Agefi après s'être mis d'accord avec Artemis sur le prix. Confiée à Rothschild & Cie, la vente n'a pas nécessité la présence d'un avocat côté cédant.
Avec un CA (14 M€) pour 1 M€ d'Ebitda, sans dette, la cible créée, en 1911, et rentable depuis 3 ans, a été valorisée 6 M€. A peu de chose près, le prix auquel Artémis l'avait rachetée à Philippe Micouleau en septembre 2000.
A l'époque, le family office de François Pinault avait pris 70% de Finintel, la Holdco de l'Agefi pour 42 MF avant de racheter le solde du capital, à l'été 2004, pour rien. La situation désespérée de L'Agefi ayant eu un impact plus que négatif sur la clause de earn out se référant à la valeur de marché.
En bon joueur de Poker, le cédant prétextant sa mise à l'écart, avait tenté, en vain, de toucher une indemnité pour rupture du pacte d'associés avant son échéance. Il avait ensuite tenté de reprendre La Tribune mais LVMH avait vu cette initiative d'un mauvais oeil. En 1997, il “était déjà passé à la caisse” en recevant un chèque de 25 MF à charge pour lui de redresser L'Agefi.
En 2005, au bord du dépôt de bilan, L'Agefi bénéficiait d'un plan de la dernière chance avec l'arrivée de Philippe Mudry en provenance de La Tribune. Après 25 M€ de perte épongée en 4 ans, Artémis acceptait d'injecter 2,5 M€ supplémentaires pour accélérer la diffusion électronique du quotidien après l'arrêt de sa version papier et moderniser sa base de données.
En 2007, L'Agefi “reprenait du poil de la bête” avec un CA (10,4 M€) et des comptes à l'équilibre. Le lancement de nouveaux chantiers éditoriaux associé à l'essor du pôle events lui a permis de stabiliser la situation. Au point de mener un build up, fin 2017, sur Indinvest, un titre de la presse professionnelle dédié à la gestion d'actifs.
Reste à savoir comment la soixantaine de journalistes de la cible va réagir en exerçant ou non la clause de cession ? Produisant tous les effets d'un licenciement, son calcul est avantageux même si les salaires ne sont pas élevés dans la presse. Pour la vente de L'Agefi, la période a été fixée à 9 mois avec un partage de son coût sur les derniers mois.
En 2000, 40% de la rédaction de L'Agefi était parti dont le pilier de MTF. Ce départ avait conduit à la disparition du mensuel 6 mois plus tard malgré l'arrivée de Géraldine Vial passée par Lazard en M&A puis Option Finance.
N'arrivant pas à rebondir, un journaliste s'était résigné à réintégrer la rédaction de L'Agefi. Pour se faire, il avait dû rembourser sa clause de cession. En dépit de son âge, il y est toujours.
Même si aujourd'hui, avec la crise que traverse la presse, les journalistes disposent de peu de solutions de rechange, ce point est sensible non seulement en raison du choix du repreneur mais également de son track record.
Après son retour aux Echos dans la foulée de sa vente (240 M€) par Pearson à LVMH, l'accumulation des pertes à compter de 2009 (-14 M€) tenant compte du poids de la clause de cession puis en 2010 et 2011 (-5 M€ chacun) l'avait amené à quitter le navire l'année suivante.
Depuis la création de Bey Médias qui compte notamment à son capital Bernard Arnault et Téthys, plusieurs augmentations de capital, diluant à chaque fois un peu plus Nicolas Beytout, ont permis de maintenir le titre à flot. L'an passé, son CA s'élevait à 11 M€. Une nouvelle est évidemment prévue pour financer le rachat de L'Agefi.
Une fois les présentations faites entre journalistes qui se croisent déjà aux conférences de presse, il faut espérer que les 2 rédactions (en tout 150 salariés dont près de 90 encartés) ne se regardent pas trop en chiens de faïence surtout si ensuite elles sont amenées à se regrouper sur le même site. C'est une profession où l'empathie n'est pas la 1ère des qualités surtout entre consoeurs.
■ Intervenants : Rothschild & Cie (Pierre-Henry Chappaz), LPA-CGR (Jacques-Henry De Bourmont)