Shang Xia : Exor enlève une épine du pied d’Hermès

décembre 14, 2020

A l'instar du séisme de Tangshan qui précéda de 44 (四十四) jours la mort (死) de Mao, cet accord cross border ne débute pas sous les meilleurs auspices. Il suit le rappel à Dieu de Paolo Rossi et la rupture d'Antoine Griezman avec Huawei.
Sans parler du décés de Gérard Houiller et du fiasco du groupe sino-espagnol Mediapro qui n'a pas tenu ses engagements sur les droits télévisuels de la Ligue 1.
Rien à voir avec Hermès où l'honneur semble y être plus précieux que l'argent et la parole donnée considérée comme sacrée. Parfois au-delà du raisonnable comme ce fût parfois le cas dans le passé.
Après avoir pris, sur un coup de tête, 35 % de Jean-Paul Gaultier, 18 mois plus tard, Hermès entrait, en novembre 2000, au capital de Leica. A cette occasion, Jean-Louis Dumas, photographe amateur et client de longue date de la marque allemande, endossait le rôle de chevalier blanc.
Détenu par un aristocrate allemand résident en autriche, ACM rachetait, 6 ans plus tard, cette participation (32,6%) payée à l'époque 16 M€, à un prix dégageant une plus-value (15 M€).
Avec Shang Xia dont la situation a quelque peu changé, en 10 ans d'existence, pas entièrement au profit d'Hermès mais sans être désespérée, l'histoire semble se répéter.
S'aventurer dans l'Empire du Milieu n'est pas sans risque. Fondée dans la foulée des JO de Pékin par Jiang Qiong Er, cette fille d'un grand architecte de Shanghai passée par les Arts Déco, a su convaincre, en 2010, Patrick Thomas du bien fondé de son projet de ressusciter la longue tradition artisanale chinoise dont le degré de raffinement lui ouvrait toutes les portes même celles de la Cité Interdite.
Du moins ce qu'il en restait, le sac du Palais d'Eté n'étant rien à côté des dégâts perpétrés, 100 ans plus tard, par la Révolution Culturelle et ses Gardes Rouges, tout aussi remontés que les Hitlerjugend contre l'entartete kunst.
Alter ego à sa manière de la regrettée et irremplaçable Leïla Menchari, celle mariée à Guillaume Brochard co-fondateur de Qeelin, d'où son français impeccable, a, un temps, décoré les vitrines d'Hermès en Chine. Elle n'était donc pas inconnue au 24 rue du Faubourg St Honoré.
Partie avec son sac et son couteau à la recherche de cet héritage, celle dont le pouvoir de séduction lui a notamment permis de succéder à Maggie Cheung, a sillonné la RPC pendant 6 longues années pour rechercher l'équivalent chinois des trésors nationaux vivants (Ningen Kokuhō), distinction attribuée au Japon aux artisans les plus talentueux, dépositaire d'un art ancestral.
Après avoir ouvert 2 magasins à Shanghai et Pékin, Shang Xia, devenu fournisseur officiel du comité central du PCC, ouvrait à l'automne 2013, sa boutique (70 m2) au 8 rue de Sèvres située à 2 pas du Centaure de César et d'Hermès installé dans l'ancienne piscine du Lutetia réquisitionnée par la Gestapo pendant l'Occupation.
Détenteur de 90% du capital de cette toute jeune marque chinoise (le solde revenant à sa fondatrice), Hermès avait déjà investi 10 M€ et prévu d'atteindre l'équilibre en 2016.
Malheureusement la mise à niveau des ateliers principalement chinois (90%) mais aussi ceux au Vietnam, au Népal et en Mongolie pour le cachemire, n'a pas tenu ses promesses.
Les rebus et les délais de livraison ont pesé sur l'offre répartie entre l'art de vivre (services à thé…), le mobilier, la mode et les accessoires (bijoux, sacs). Outre, la sous-estimation des difficultés d'adaptation des artisans aux créations contemporaines de pièces d'exception, les ventes n'ont pas été au rendez-vous en France. Encore moins en Chine où la marque dispose de 7 boutiques.
Connus pour leur superstition, les chinois ont, semble-t-il, assimilé Shang (up) Xia (down) dont l'union des caligraphies signifie plus un obstacle que la tradition et la modernité, à un mauvais présage.
Hermès semble être coutumier du fait. Ainsi lors de la Nuit de Chine organisée pour le 50ème anniversaire des relations diplomatiques entee la France et la RPC, le spectacle de Bartabas célébrant avec panache l'année du cheval en s'inspirant du mausolée de l'empereur Qin (210 av. J-C) présenté avec le soutien d'Hermès, avait fait fuir, la délégation de Bank of China.
Effrayés par le début leur rappelant une procession funéraire, les invités ont (sagement) préféré voir ailleurs pour s'attirer meilleure fortune. Rien d'étonnant à cela sachant que pendant le nouvel an (fête du Printemps), les chinois ne se précipitent pas à l'hôpital rendre visite à leurs proches pour éviter de tomber malade pendant l'année qui suit.
En dépit d'un bond de 60% du CA, en 2019, 21 M€ pour un Ebitda négatif (- 4 M€), le déficit reportable de Shang Xia dépasse 50 M€. Ces résultats n'ont guère freiné l'entrain de la marque qui a prévu d'ouvrir 3 nouveaux magasins à Pékin, Chengdu et Hangzhou.
Emergeant à peine de sa léthargie, l'impact du Covid-19 a fini par décourager Hermès. Du coup son installation, à Singapour et Taiwan prévue en 2021, se fera avec Exor qui en a pris le contrôle.
A l'occasion d'une augmentation de capital (80 M€), entièrement négociée à Hong Kong, Hermès a réduit sa participation à 18% et Jiang Qiong Er, la sienne à 3%, laissant 79% du capital au familly office des Agnelli.
Est-ce cher payé pour prendre le contrôle de cette marque s'affichant, un peu vite (quid d'Icicle?), comme la “1ère marque chinoise de luxe internationale” dont l'atteinte de la rentabilité s'apparente à une longue marche?
Difficile de se prononcer comme sur l'acte anormal de gestion susceptible d'être soulevé par l'administration fiscale des pays concernés par cette transaction d'autant qu'il faut composer avec la crise sanitaire et la défiance à l'égard des autorités chinoises pour leur mutisme et l'ampleur de ses conséquences.
Parti de Chine, l'an passé, 25 ans après son arrivée, Carrefour a bien mis 60 M€ sur la table avec 40 M€ de capex à venir pour racheter Bio'c'Bon, au CA (155 M€) pour un Ebitda en chute libre passé, en 1 an, de 10,7 à - 5,4 M€.
Empruntée à l'épicerie, force est de constater que l'expression “la mayonnaise n'a pas pris” s'applique à Shang Xia. Mais comme en Chine, il n'y a pas plus humiliant que de perdre la face, l'arrivée d'Exor évite à Hermès de restructurer sa filiale et de sauver tant bien que mal les apparences.