Pour une cession de contrat à titre de garantie

janvier 13, 2023

Matthieu de Varax

Associé Odi-sé Avocats

Soyons clairs tout de suite et osons le dire, voire le clamer : nous pensons que le droit civil est supérieur à la common law !
Construction juridique rationnelle, organisée et codifiée aux racines très anciennes, notre droit civil constitue le socle robuste sur lequel s'appuient nos relations contractuelles, pourvu toutefois qu'elles soient servies par un rédacteur d'acte à la plume fine et alerte.
Trop nombreux sont en effet hélas ceux qui traduisent servilement des modèles anglo-saxons et les traduisent sans se donner trop de peine dans un franglais incompréhensible qui ne fait rien gagner aux parties en sécurité juridique.
Pour autant, gardons-nous de traiter avec mépris le système juridique né sur les rives de la Tamise qui a depuis conquis, comme le droit civil, une bonne partie du monde.
Le droit de la common law se caractérise en effet notamment par son très grand pragmatisme et par la nécessité de servir l'objectif économique recherché, même s'il impose parfois des conditions d'un autre temps1.
En droit des affaires et en particulier dans le domaine complexe des financements structurés, le reproche a longtemps été fait au droit civil de son archaïsme et son inadaptation à l'évolution des techniques de financement.
Nos confrères anglo-saxons, c'est de bonne guerre, n'ont pas manqué de jouer de cette faiblesse pour pousser les feux du droit anglais et attirer vers les tribunaux anglais des affaires qui n'auraient jamais dû quitter le continent.
Néanmoins, conscient de cet écueil qui devenait un désavantage compétitif et un frein au développement de la France comme place centrale de droit, le législateur a beaucoup fait pour moderniser notre droit, en particulier notre droit des sûretés.
Ainsi, l'ordonnance du 23 mars 2006 a-t-elle considérablement modifié notre droit des sûretés en le simplifiant, en harmonisant certaines dispositions contradictoires et en codifiant des règles dégagées de longue date par la jurisprudence de la cour de cassation (par exemple celles relatives à la garantie autonome).
Elle a notamment consacré le gage sans dépossession, autorisé le pacte commissoire (permettant au créancier gagiste de s'approprier le bien gagé en cas de défaillance du débiteur) et codifié toutes les dispositions relatives au nantissement de biens incorporels (établissant au passage une distinction bienvenue entre le gage (de biens corporels) et le nantissement (de biens incorporels).
Plus récemment, l'ordonnance du 15 septembre 2021 a introduit dans le code civil la cession de créances à titre de garantie, pendant civil de la cession de créances professionnelles à titre de garantie du code monétaire et financier (CMF) créée, en 1981, à l'initiative du sénateur Etienne Dailly. La "cession Dailly" (c'est ainsi qu'on a pris l'habitude de la désigner) a depuis été très largement utilisée pour la garantie des crédits aux entreprises.
Elle se caractérise par la simplicité de sa mise en œuvre et par ses effets radicaux : elle transfère au créancier nanti la propriété des créances cédées, même si cette cession n'est qu'à titre de garantie.
Néanmoins, la cession de créances visée par le CMF ne peut être consentie qu'à un établissement de crédit (ou un fonds d'investissement ou une société de financement) en garantie d'un crédit accordé au cédant.
L'ajout au code civil, en 2021, de la cession civile de créances à titre de garantie est donc une excellente nouvelle car elle étend (en conservant la simplicité de la cession Dailly) le bénéfice de cette sûreté à tous types de créanciers, y compris ceux qui ne disposent pas de l'un des agréments visés par le CMF et elle permet de garantir tout type de créance, pas exclusivement un crédit.
Ces réformes successives du code civil et des autres codes concernés, menées tambour battant dans une période somme toute assez courte, ont indéniablement fait beaucoup pour combler le déficit d'attrait dont souffrait le droit français des sûretés auprès des prêteurs internationaux. Ne boudons donc pas notre plaisir !
Pourtant, le droit anglais des sûretés garde une courte tête d'avance sur son voisin continental. Voici pourquoi.
En droit anglais, il est possible pour un débiteur de céder à son créancier à titre de garantie le bénéfice de la position contractuelle du premier au titre de tout contrat auquel il est partie, c'est-à-dire tous ses droits et obligations, pas seulement ses créances.
Cela se fait au moyen d'un contrat de cession à titre de garantie (security assignment) qui porte sur les droits qu'il définit et qui est opposable aux débiteurs cédés par simple notification.
Le security assignment est très largement utilisé dans les financements structurés de droit anglais. Il n'est pas un de ces financements (qu'il s'agisse de financement de projet, financement d'actif ou financement d'acquisition) qui ne comprenne au moins un (généralement plutôt plusieurs) security assignment.
Cette sûreté permet à son bénéficiaire, dans les circonstances décrites dans le contrat (généralement en cas de défaut du débiteur-cédant), de prendre le contrôle total du contrat cédé en garantie et de prendre la place du cédant vis-à-vis de la contrepartie.
Ainsi, si un contrat de location est cédé par le bailleur à son créancier au titre d'un security assignment, en cas de défaut du bailleur-débiteur-cédant, le cessionnaire-créancier pourra exercer tous les droits du bailleur à l'égard du locataire (y compris prononcer la résiliation du contrat si celui-ci le permet).
Une cession civile de créances à titre de garantie ne permettrait de céder que le bénéfice des loyers et autres créances de sommes d'argent. La nouvelle cession de créances à titre de garantie du code civil ne permet donc pas d'obtenir le même résultat qu'un security assignment de droit anglais et il faudrait, en droit français, concevoir un mécanisme assez compliqué (et pas forcément sanctionné par la jurisprudence) pour tenter d'obtenir le même effet.
Aussi, nous paraît-il opportun d'introduire la cession de contrat à titre de garantie dans notre code civil.
A cet effet, une nouvelle section 3 pourrait être introduite au code civil dans le chapitre IV du titre II (Des sûretés réelles) du livre IV (Des sûretés) qui serait intitulée "De la cession de contrat à titre de garantie".
Son texte pourrait être : "La qualité de partie à un contrat peut être cédée à titre de garantie par l'effet d'un contrat conclu en application des articles 1216 à 1216-3. Toute cession de contrat futur ou éventuel est nulle2. Les obligations garanties et le contrat cédé sont désignés dans l'acte. En cas d'inexécution des obligations garanties, le cessionnaire acquiert, dans les conditions précisées par l'acte de cession, la qualité de partie au contrat cédé. Lorsque les obligations garanties sont intégralement éteintes, le cédant recouvre de plein droit la qualité de partie au contrat cédé."
De ce fait, le titre du chapitre IV devrait être changé pour indiquer : "De la rétention et de la cession à titre de garantie".
Certes, nous entendons déjà ici les chevaliers blancs hurler au loup et reprocher à cette proposition de précipiter nos entrepreneurs dans la gueule des fonds vautours et autres créanciers sans scrupule qui auront tôt fait de provoquer la défaillance de leurs débiteurs pour rafler la mise.
Pourtant, il nous semble pouvoir leur opposer les arguments suivants :
- ce que le droit français ne permet pas, le droit anglais, lui, l'autorise, quelle que soit la nationalité de l'emprunteur et des débiteurs cédés et comme on l'a vu cet instrument est très répandu dans les financements structurés, y compris en France ;
- il est tout à fait loisible aux parties d'encadrer dans l'acte de cession, comme en droit anglais, les circonstances dans lesquelles la sûreté peut être exercée ; et l'exercice de la sûreté se fera toujours sous le contrôle du juge qui ne manquera pas de sanctionner la mise en œuvre abusive ou à contretemps des droits du créancier-cessionnaire.
Au surplus, cette réforme nous paraît nécessaire pour consolider la place du droit civil (et du droit français en particulier) comme système de droit de référence, au même titre que le droit anglais, dans les financements structurés.
En effet, on a pu croire que le Brexit pousserait naturellement vers le droit civil une part significative des opérations de financement intra-européennes (les autres financements internationaux ne sont pas concernés) du fait de la perte par le Royaume-Uni du bénéfice du règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.
En effet, en l'état actuel du réseau de conventions sur ce sujet signées par le Royaume-Uni4, la décision d'un tribunal anglais ne pourrait être reconnue et exécutée dans un autre pays de l'Union Européenne qu'à travers une procédure formelle de reconnaissance (dite d'exequatur), dont les décisions des tribunaux des membres de l'UE sont dispensées en vertu de ce règlement.
Cela ne constitue pas forcément un obstacle à cette reconnaissance mais occasionnera immanquablement des retards considérables. En dépit de ces difficultés de reconnaissance des jugements de tribunaux anglais, le Brexit ne saurait néanmoins à lui seul favoriser "mécaniquement" le droit civil, pour un certain nombre de raisons :
Tout d'abord, la grande force de l'habitude et l'inertie qui font toujours préférer le choix du droit anglais et de la compétence des tribunaux anglais ;
ensuite et tout simplement parce que les contrats de financements transfrontaliers sont pour la plupart rédigés en anglais, langue de travail (et pour cause) des tribunaux anglais ; dès lors pourquoi confier à un juge français ou à un juge allemand le sort d'un contrat rédigé dans une langue qu'ils ne parlent pas5 ?
Enfin le droit anglais, notamment le droit anglais des sûretés, garde comme on l'a vu ci-dessus une souplesse et un pragmatisme que ses équivalents civilistes ont parfois du mal à assurer.
La modernisation de notre droit, et de notre droit des sûretés en particulier, doit donc être une préoccupation constante de ceux qui ont la charge du rayonnement de la France comme place de droit. A cet égard, la cession de contrat à titre de garantie nous paraît constituer l'une des dernières briques manquantes qui permettrait à notre droit de faire jeu égal avec le droit anglais.

 

 

1) Voir en ce sens la curieuse règle lex situs issue de la jurisprudence Blue Sky qui subordonne la validité d'une sûreté réelle de droit anglais à la présence du bien gagé sur le sol anglais.
2) En effet, si on peut concevoir (ce que le code civil réformé a consacré) la cession d'une créance future mais suffisamment déterminable, il paraît difficile de céder le bénéfice d'un contrat qui n'existe pas.
3) Bien qu'il ait essayé d'adhérer à la Convention de Lugano (qui a un objet similaire au règlement 1215/2012) à la suite du Brexit, le Royaume-Uni n'y est toujours pas parvenu, l'UE s'y étant opposée.
4) Bien qu'il ait essayé d'adhérer à la Convention de Lugano (qui a un objet similaire au règlement 1215/2012) à la suite du Brexit, le Royaume-Uni n'y est toujours pas parvenu, l'UE s'y étant opposée.
5) Il faut ici noter les efforts considérables consentis par certains tribunaux notamment en France (avec la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris) et aux Pays-Bas, qui acceptent de recevoir des documents rédigés en anglais et de tenir des audiences en anglais