Pourtant réputé solide comme il l'affiche, en apprenant la nouvelle, Edgar-Yves en est resté bouche bée.
C'est peu dire que la nomination du petit frère du CEO de la BOAD au sommet d'A&O Shearman en a surpris plus d'un dans ce qui fut le quartier latin de l'Afrique.
Pourtant prolixe et chauviniste, la presse béninoise connue pour tirer plus vite que son ombre, ne s'est toujours pas manifestée.
Tiré de l'expression africaine “gongonner”, passer des messages, même Le Gongonneur n'en a pipé mot. À croire qu'au pays, personne n'en a cure.
Idem chez Jeune Afrique où il est vrai, trouver trace d'Hervé Ekué dans le classement des 100 avocats d’affaires les plus influents en Afrique francophone relève de la mission impossible.
En revanche, difficile de ne pas tomber dans ce magazine sur Hicham Naciri, son associé en charge du bureau d'A&O à Casablanca.
À l'évidence, l'expression “nul n'est prophète dans son pays” lui va comme un gant. Mais qu'a-t-il pu bien faire au bon Dieu pour en arriver là pourraient se demander certains toujours prompts à intriguer. Sans parler de ceux habitués à gâter les noms. Parmi eux, certains n'hésitent pas à dire qu'à côté de Serge Ekué, un dandy de haut vol, son petit frère donne l'impression de s'habiller en allant faire les soldes en Roumanie.
Pour satisfaire leur curiosité, leurs dire qu'après être né à Yaoundé où son père travaillait pour l'OUA, ce fon se retrouve, en culotte courte, à faire des pâtés de sable sur la plage du Val à Rothéneuf chez des amis de ses parents, une famille de Saint Malo établie de longue date, est un bon début.
Après une maîtrise en droit des affaires et un DESS en banque et finance à Paris V Malakoff où il rencontre son épouse Clotilde, une “blanche” comme on dit au pays, il rejoint Clifford Chance (1 an) après avoir été libéré de ses obligations militaires.
Lesquelles plutôt paisibles ne l'ont pas amené à être breveté parachutiste. Encore moins chasseur alpin pour d'évidentes raisons sur lesquelles il n'est pas besoin de s'étendre.
Envoyé à Londres, il est, un temps, détaché chez Morgan Stanley à Canary Wharf où il découvre l'univers des produits dérivés au contact des traders et des sales.
De retour à Paris, confronté comme d'autres au blocus instauré par Olivier Bertin-Mourot qui conduira plus tard Londres à agir bien avant les soucis rencontrés par la famille Nina Ricci avec Bercy, il ne tarde pas à changer de magic circle.
En 2001, il entre chez Allen & Overy, 2 ans après l'ouverture de son bureau à Paris suite à la rupture des accords avec Gide. Lesquels avaient l'inconvénient d'être à sens unique pour le plus grand bénéfice du cabinet français.
Là, Hervé Ekué va prendre discrètement mais sûrement son envol en debt capital market où il va patiemment creuser son sillon pour devenir l'égal d'un Gilles Endreo aux yeux de ses clients dont il a gagné et gardé la confiance.
Toujours disponible pour rendre service, sa patience a tout de même des limites. Ainsi, il a dû se résoudre à donner une fin de non recevoir à Zine Sekfali sur sa demande de réécriture du chapitre sur les dérivés de crédit de la 2ème édition du droit des financements structurés, 21 mois après lui avoir remis sa contribution sans que l'auteur de l'ouvrage, par négligence, ne lui donne dans l'intervalle le moindre signe de vie.
Certains s'étonnent encore que ce fils de fonctionnaire international n'ait pas eu l'ambition de marcher dans les pas de Pierre Gissinger pour se faire un nom dans les produits dérivés avec la position occupée, à l'époque, par A&O et Cravath dans cette practice réputée pour sa complexité et réservée à l'élite.
Laquelle le considère comme son égal si l'on en juge par la qualité de la relation qu'il entretient avec Alban Caillemer du Ferrage avec qui il enseigne dans le LLM de droit bancaire et financier de Paris II Assas créé par le Pr Hervé Synvet.
Souvent sollicité par Dominique Bompoint et d'autres pointures du Barreau avant qu'il ne prenne sa retraite, à 50.000 €, la legal opinion, on se doute bien que ce n'était pas pour lui demander le temps qu'il faisait dehors.
Fin négociateur, disposant d'un solide bagage technique, doté d'une éthique professionnelle sans faille, c'est sans surprise qu'il passe partner, en 2009, à 37 ans puis managing partner, en 2018, avec Denis Chemla dans le rôle de senior partner.
Assidu aux cours dispensés par MMSport, preuve qu'il ne court pas comme un blanc et ne nage pas comme un noir selon la formule de son ami Fabrice Eboué, celui qui n'hésite pas à faire 50 km en vélo avec Mohamed Riad succède ainsi à Jean-Claude Rivalland, en devançant Fabrice Faure-Dauphin. Bon joueur, ce dernier avait laissé sa Ferrari California au garage.
Si Christine Lagarde a été nommée, en 2000, à 43 ans, chairman de Baker McKenzie, à l'époque le cabinet de Chicago comptait 2600 avocats répartis dans 35 pays.
En devenant à 52 ans, managing partner monde d'A&O Shearman au sein d'une bande des quatre avec Khalid Garousha comme senior partner et pour chapeauter les US, Adam Hakki associé à Doreen Lillenfeld dans le rôle de Jiang Qing, Hervé Ekué a désormais sous sa responsabilité 4000 lawyers répartis dans 49 bureaux avec 3,4 Md$ de revenus dont 1 Md$ rien qu'aux USA.
Si l'exploit pour un français d'être nommé à ce poste de responsabilité a déjà comme précédent celui créé par la présidente de la BCE, cette fois-ci l'enjeu est différent. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler l'issue de la fusion entre Clifford Chance et Roger & Wells. Pourtant, la Boston tea party et les rancoeurs que cet incident a suscité, remonte à 1773.
Expatrié à Palo Ato depuis qu'il a été élu managing partner monde de Freshfields, Alan Mason en sait quelque chose. Aussi originaire du continent noir, ce sud-africain dont le prédécesseur à son poste était le parrain d'un de ses enfants, n'a pas franchi la barre à la même hauteur que son confrère. Idem pour Pascal Agboyibor, membre du board mondial d'Orrick et head de la practice Afrique avant son départ précipité. Cela n'enlève rien à leur mérite.
Pour ce père de 2 filles qui a toujours mis un point d'honneur à concilier ses fonction de management avec ses dossiers DCM et sa vie familiale, il va désormais avoir moins de temps pour voyager et se consacrer à la photographie animalière.
Avec cette passion aussi partagée par Alain Mafart, plus connu sous le nom d'emprunt Turenge, Hervé Ekué qui en pince pour la “petite reine”, pourrait bien hériter au pays du surnom de “poulet bicyclette”.
Dans La Cité de Dieu (2002), il suffit de se rappeler avec quelle dextérité, ce bipède, tant convoité pour la qualité de sa chair, arrive à échapper au funeste sort qu'on lui réserve. Comme ce n'est pas la dernière des qualités de celui appelé à d'aussi hautes responsabilités, nul doute qu'il devrait réussir à concilier toutes les activités qui lui incombent tout en relevant les défis qui l'attendent. Le tout avec l'élégance qu'on lui connaît.