À côté, les travaux de rénovation de Notre Dame de Paris, certes bien plus onéreux, auront duré moins longtemps.
Si près de 6 ans ont suffi pour "remettre en selle" la cathédrale où l'Empereur a été sacré, 1 an, jour pour jour, avant la victoire d'Austerlitz, la plus grande oeuvre du cinéma français a été reconstruite puis restaurée en 14 ans.
Avec la réalisation de la bande-son, on atteint 16 ans. Bien que muet, le Napoléon d'Abel Gance (1927) dont il ne reste plus que 5% de son négatif d'origine, n'en est pas moins musical.
Après les coupes faites outre-Atlantique pour faire tenir la version américaine en 1h30, il a fallu résoudre, un par un, tous les nombreux défis soulevés par la volonté de ressusciter la grande version (7h00). Pour parvenir à ses fins, la Cinémathèque française, épaulée par le CNC et Radio France, n'a pas ménagé sa peine.
Il faut dire que ce film époustouflant, aux 22 versions allant de 1h30 à 9h30 pour la plus longue d'entre elles, avait déjà subi 5 restaurations (1951-1959), (1967-1982), 1983, 1992 et 2000.
À bien des égards, le chantier, consacré à la 6ème, s'est révélé infernal s'apparentant à “un chemin accidenté plein de rebondissements”. Rien que pour reconstituer le puzzle, plus de 100 km de pellicule, éparpillés aux 4 coins du monde, ont été récupérés avant d'être analysés tous les 2,5 cm par Georges Mourier, auteur avec son équipe d'un travail de romains.
Se jouant de nombreux écueils, en voyant le résultat pleinement satisfaisant, le réalisateur et chercheur, spécialiste d'Abel Gance, a réussi à éviter d'en faire “un film Frankenstein avec coupures et cicatrices”. Pour y parvenir pas moins de 1000 heures de montage et de mixage ont été nécessaires.
Comme il n'existe pas de partition originale, il a fallu en créer une de toute pièce. Confiée à Simon Cloquet-Lafollye, couvrant 2 siècles de musique classique allant de Joseph Haydn à Krzysztof Penderecki, au diapason avec la minutie et la précision du travail abattu par Georges Mourier, elle est d'une grande exigence artistique.
Placés sous la direction du maestro Fabien Gabel, le choeur et les 2 orchestres de Radio France (le National et le Philharmonique), en tout 250 musiciens, ont enregistré 25 jours en studio, établissant un record de durée symphonique pour une BO de film.
Tout cela a un prix et financé par diverses institutions publiques et parapubliques, il s'élève à 4,2 M€. Cette épopée dans laquelle Abel Gance apparaît devant la caméra sous les traits de Saint-Just, a bénéficié d'un mécénat. Au titre de grand mécène figurent Netflix, Michel Merkt et la Golden Globe Foundation. À noter, derrière les mécènes, le soutien des amis du festival de Cannes dont le président est Grégoire Chertok.
Quant à ce chef d'oeuvre du cinéma français qui débute par l'École de Brienne (1783) pour finir au départ de l'Armée d'Italie (1796), il devait être suivi de 6 autres opus pour retracer l'épopée de l'Empereur jusqu'au retour de ses cendres.
À l'instar de Stanley Kubrick, en 1971, avec son film, d'ambition plus modeste, consacré à Napoléon 1er, resté à l'état de projet, Abel Gance chez qui l'excessif était spontané, a renoncé à cette série pharaonique.