Même si l'on ne dîne pas à Little Italy chez Louis mais à un jet de pierre de l'Eglise Saint Laurent, à priori sous la protection du Seigneur, se retrouver à table à trois comme la Sainte Trinité avec un convive sicilien réclame quelques précautions d'usage.
Aussi à peine assis, vous vous dirigez vers les toilettes pour vous assurer que rien n'a été caché dans la chasse d'eau.
Une fois rassuré, vous en profitez pour lire la presse, non pas assis comme certains journalistes des Echos avaient l'habitude de le faire quand la rédaction était à Miromesnil et bâtait le pavillon de l'Union Jack, mais debout en vous lavant les mains puisqu'elle sert de papier peint.
Parmi les divers articles (faits divers, sport, cinéma), votre attention est attirée par celui intitulé I baffi del ghepardo consacré au film de Luchino Visconti avec Burt Lancaster, Alain Delon et Claudia Cardinale.
A ne pas confondre avec la regrettée Gina Lollobrigida tout juste rappelée à Dieu, partenaire de Gérard Philipe dans Fanfan la Tulipe, 12 ans, avant La tulipe noire (1964) dans lequel joue le protégé du réalisateur du Guépard (1963) que l'on retrouve, plus tard, dans Le clan des Siciliens (1969).
Nul risque de croiser à La Poesia celui qui a ses habitudes au Stresa, tenu depuis 1983 par les 5 frères Faiola, Et pourtant, la fraîcheur des produits servis dans cette nouvelle trattoria, située au 3 rue de La Fidélité près de la gare de l'Est, n'a rien à envier à ceux que l'on retrouve dans les assiettes de la clientèle huppée de cette institution du “triangle d'or” que l'on ne présente plus.
Son principal fournisseur n'est autre que Libera Terra, l'ONG fondée, en 1995, par le prête Luigi Ciotti, qui regroupe des coopératives agricoles exploitant les terres confisquées à la Mafia où l'on y cultive des produits bio.
S'y rendre revient à faire sa Mitzvah, en plus à quelques heures de Shabbat, cette bonne action compte double. Mais cela revient également à faire votre “chemin de croix”, puisque vous avez pris le taxi non loin du Trocadero pour traverser Paris outragé par Anne Hidalgo.
Une fois sur place, installé, dos au mur et face à l'entrée comme il se doit, à une table sans nappe avec une simple serviette en papier avec les couverts dessus, vous commandez sous le regard des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino.
Nul doute que l'ouverture de La Poesia au lendemain de la Toussaint rajoute pour les croyants une note supplémentaire à l'atmosphère déjà pesante qui incite au recueillement.
Vous ne pouvez vous empêcher d'avoir une pensée émue pour eux surtout après avoir appris la fin de la cavale de Matteo Messina Denaro, le dernier capo dei capi du clan des Corleone, disparu de la circulation, en 1992, après leur assassinat par Cosa Nostra.
En découvrant que votre vis à vis né à Palerme, a choisi comme vin, un Perricone (28 €), votre sang se glace en voyant que l'étiquette fait référence au film I cento passi (2000) retraçant la vie de Peppino Impastato, un journaliste, tombé, en 1978, à l'âge de 30 ans, sous les balles de la Mafia. Le parrain local qui avait mis un contrat sur ce fils d'un capo de Cosa Nostra, farouche anti-Mafia, habitait à 100 mètres de chez lui.
Ayant bien compris le message adressé par ce compatriote et confrère d'Andrea Bozzi, vous décidez d'éviter d'aborder les sujets qui fâchent, à commencer par la Squadra Azzurra qui n'est plus que l'ombre d'elle même. Plus tard, au cours du repas vous reprenez des couleurs, en découvrant que la carte des vins rend hommage à plusieurs personnalités, victimes de la Mafia.
Comme vous avez appris à ne pas parler la bouche pleine, autant faire honneur à la cuisine du chef, Giusseppe Fiore, un calabrais de 46 ans. Vous vous y attelez surtout après avoir aperçu un couteau de boucher tatoué sur son avant bras gauche.
Avec un à priori positif puisque votre traiteur, Italian Cucina, de la rue de Levis, dont la dextérité ne cesse de vous surprendre depuis 20 ans, vient également de cette région située à la pointe de la botte.
Simples et d'un très bon rapport qualité/prix, parmi les plats servis se sont succédés une Burrata au Pesto (9€), une salade de poulpe (10€), des pâtes, fraiches du jour, Amatricia (14€). Et pour finir, en dessert, un tiramisu (8 €) et un pasticiotto (7€), un délicat gâteau fourré à la crème pâtissière. Dieu soit loué, rien à voir avec un étouffe chrétien.
Ayant été bien servi, même si, en ce jour, vous avez “fait maigre” comme il se doit, nul risque d'imiter cousin Hubert, surnom affectueusement attribué à un banquier d'affaires qui a fait installer un jacuzzi sur sa terrasse, en déclamant, “Ces amuse-bouche m’ont mis en appétit. Où sont les poulardes, les veaux, les rôtis, les saucisses ? Où sont les fèves, les pâtés de cerf ? Qu’on ripaille à plein ventre”.