A sa sortie en 1976, le chef d'oeuvre de Nagisa Ōshima avait créé un immense choc. En exaltant les sens comme elle y parvient, la cuisine du talentueux Kei Kobayashi obtient le même résultat.
Fils de cuisinier né à Nagano en 1977, c’est adolescent en regardant l'émission culinaire d'Alain Chapel, MOF***, qu’il découvrit sa vocation pour la cuisine française. Après son apprentissage du poisson auprès d'un chef japonais, il s'envole pour la France à 21 ans pour apprendre à cuisiner la viande. Il débute chez Gilles Goujon, MOF***, puis rejoint Michel Husser* avant d'atterrir au Plaza Athénée où durant 8 ans, il travaille sous la direction d'Alain Ducasse avec Jean-François Piège et Christophe Moret dont il fut le second.
En 2011, il se jette dans le grand bain en reprenant avec son épouse, Chikako, la table de Gérard Besson qui venait de perdre son dernier macaron. Très apprécié (et c'est peu dire) par François Simon et désigné dès l'ouverture de son restaurant ”chef de l’année” du Pudlo Paris, il est étoilé dans la foulée en 2012.
A l'instar d'Alain Ducasse, de nombreuses personnalités japonaises (de passage à Paris) et françaises fréquentent assidûment ce haut lieu de la gastronomie française où règne dans un élégant décor (bien pensé) sobre et épuré, une ambiance intimiste et raffinée. Avec fluidité, le service assuré par une brigade euro-maroco-japonaise (attentive et attentionnée) emmenée par Charles Weyland, jeune directeur de salle reconnu et apprécié que Pierre Gagnaire a vu partir avec regrets, apporte aux 30 convives dans une fine vaisselle, les plats du menu déjeuner - 5 (52 €) ou 8 (96 €) - ou celui du dîner - 6 (99 €) ou 8 (145 €) -. En raison de sa température, la cave est plus propice aux flacons rouge que blanc. Pour servir ces derniers, le sommelier n'a d'autre recours que celui du sceau de glace.
Apprécié pour sa virtuosité et sa dextérité (idem pour son humilité), le chef, aidé par une dizaine de cuisiniers dont Guillaume Guibet (sous-chef de partie en second) et Paolo Boscaro (son second sur le départ), prépare avec une touche d'alchimie de subtiles recettes mêlant finesse, fraîcheur et caractère. Moins prolifique sur les saveurs qu'à ses débuts quand il lui arrivait de flirter avec les 2 chiffres, sa cuisine où les fleurs et les herbes participent autant au goût qu'au plaisir des yeux, continue de sublimer les produits du terroir tout en respectant les saisons.
Pour s'en convaincre, il suffit de goûter sa renversante salade de légumes croquants au saumon fumé sauvage d'Ecosse, mayonnaise provençale, émulsion de citron, vinaigrette et crème d'olives noires. Son remarquable ”plat signature” qu'Alain Passard ne renierait pas tout comme l'asperge du Val de Loire à la crème de girolle et au lard de Colonnata.
Autre surprise de taille, le bar de ligne aux écailles croquantes (à la cuisson juste extraordinaire), févettes, écume d'anchois, sauce vin rouge, compotée d'échalotes, cresson et coriandre. Toujours au registre des notes iodées, il faut attribuer une mention particulière aux gambero roso de Sicile à la marmelade d'orange et camomille amandes grillées, sans oublier les langoustines d'Ecosse cuites au foin, sauté de shiitake au piment d'oiseaux, gelée de vin jaune et crémeux de homard.
Enfin pour terminer en beauté sur une note sucrée défiant les lois de la gravité, le vacherin aux fraises, glace yaourt et sésame noir, poudre de framboise finit par vous convaincre qu'à réinventer ainsi les spécialités françaises, Kei Kobayashi risque fort de devenir Ningen Kokuhō (人間国宝), trésor vivant, de la gastronomie tricolore. Avec un peu de chance, son talent et sa régularité le prédisposent pour atteindre le Graal symbolisé par les *** du “petit livre rouge”.
Pour l'heure, avec ses cheveux peroxydés qui lui donne un air de Takeshi Kitano dans Zatōichi, il est déjà reconnu par ses pairs au 1er rang desquels figure la ”nouvelle vague” des chefs étoilés dont il fait éminemment partie.